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prétexte de n’en être pas une, se veut cynique : est interdit ce que les codes sociaux interdisent. Il n’en reste pas moins que le bien suprême est la vie en société et le mal l’a-socialisation. La morale retombe sur ses pattes.

« Caresse ! » Je m’approche du lit, chavirée. Je passe une main tremblante sur ses cheveux, ses joues, sa bouche. Elle répète « moi… moi… moi… » et le son très doux m’est une étreinte. Elle se tait finalement et je la quitte sans avoir osé poser en son visage un baiser.

Inquiète, énervée, dans mon lit je pense à Clémence. La nuit est d’une grande dureté cette nuit-là.

Au matin, dans la salle des douches, j’ai à laver les petits. Clémence arrive, nue. Son corps est maladroit, sans miséricorde, comme sourd. Je n’ai d’yeux que pour elle. J’en oublie de rincer les cheveux d’Yves qui profite de ma distraction pour avaler sereinement les paquets de mousse qu’il ramasse dans ses mains. Clémence… Je reste à genoux, vide, inutile, sur la faïence savonneuse. Le cri d’un enfant me réveille.

La journée est un supplice : je ne sais plus comment m’approcher d’elle. Peur du gendarme. Les éducateurs, je m’en doute, ne permettront pas que je passe cette journée auprès d’elle. Que diraient les parents ? Ils l’ont placée là pour la « mettre à l’abri ». En aucun cas, je ne dois troubler l’enfant. Je ne lui dirai donc pas qu’elle m’est belle, je ne lui dirai pas que j’ai envie de la revoir ni que j’ai besoin qu’elle me parle encore.

Le soir arrive et l’heure de mon départ. J’embrasse ceux des enfants qui en ont envie. Je m’applique à abandonner Clémence, je l’embrasse placidement, je me sens grossière.

Dans le train, je ne peux lire ni rêver. Je ne pense pas, je bois la honte de ma prudence.

Tu vois, Marie, je ne vaux pas grand-chose et si j’ai eu parfois quelques petits courages face aux lois, j’ai bien souvent baissé la tête devant des censeurs médiocres et imbéciles. Cependant de ces remords-là aussi je noue ma colère et ma révolte. Rien ne se perd.


Je m’inquiète de ce que les mères parlent si peu d’amour. On le fait tellement pour elles. Elles se sont laissé dire que l’amour maternel était naturel, puis qu’il était culturel, moderne et artificiel. Imperturbables, elles continuent d’accoucher, d’adopter ceux dont elles ont accouché ou les autres, de bercer, de beurrer les tartines, de tresser les cheveux, de