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soumission. L’amour n’est pas plus fort que la mort mais il est aussi fort, et la mort que représentent nos vertueux pédagogues craint forcément le désir, la tendresse et la « bonne intelligence » qui peut en résulter.

À côté de ça, dans Le Monde de l’éducation de mai 1983, sous le titre « Séduire ses élèves, ce n’est pas les abuser… » (les guillemets, on s’en doute, figurent dans le journal — des fois qu’on pourrait croire que Le Monde a quelque idée sur cette question), apparaît le jeu brillant des professeurs honnêtes, innocents et badins. Quel charme dans ce flirt collectif ! Quelle élégance dans l’air de ne pas y toucher ! En vrac, je relève : « De mon côté, je suis spontanément attirée par certains élèves, parce qu’ils sont mignons, ou parce qu’ils ont l’air débrouillards […]. On minaude un peu. J’aime ces moments-là […] » « J’aime bien voir mes élèves amoureux. Ils sont mignons, ça m’amuse, je retrouve mon adolescence. Je me sens un peu témoin, un peu complice […]. » « Toute parole est sensuelle, celle du prof de philo particulièrement. Cela s’exprime par un regard, une posture du corps, un aparté, une façon de manier l’humour aussi, une certaine liberté de ton. J’espère mettre dans mes rapports avec mes élèves de la délicatesse et de la connivence. Celle-ci est là aussi pour se substituer au refus trop cassant, quand une fille me drague un peu. Ça m’arrive, et de plus en plus, à mesure que je vieillis. Séduire ses élèves, ce n’est pas les abuser en instaurant une relation de pouvoir. C’est simplement les aimer, pour pouvoir leur apprendre quelque chose. Se faire aimer pour qu’ils aient envie d’apprendre […]. »

Autres sons de cloche (vraiment ?), ces deux autres : « Je ne mendie pas leur affection. Au début de l’année, je suis agressive, presque froide. Sans doute pour me préserver, pour ne pas d’emblée avoir l’air du “prof sympa”. Au bout d’un trimestre je fonds. Mais je reste sur mes gardes […]. Si on a une relation trop intime, le travail en prend un coup. » Et enfin, candide : « Il arrive que des filles tombent amoureuses de moi. L’an dernier, l’une d’elles m’a fait une déclaration. On a parlé ensemble : je lui ai expliqué qu’on ne pouvait avoir, elle et moi, qu’une relation amicale. Pourquoi est-ce que cela arrive ? J’ai certainement une part de responsabilité. Inconsciemment, je dois laisser cette possibilité ouverte […]. »

Nous en conclurons qu’il y a séduire et séduire, la bonne cause (l’enseignement), la mauvaise (le plaisir). Je m’en voudrais de fixer mes pensées sur ces pages comme des papillons sur un tableau. Je ne crois pas davantage à la pure sainteté qu’à la pure saloperie. Quand je parle de séduction et de désir, je n’ignore pas que tout s’interpénètre dans la sexualité du monde, là où se marie la pensée à toute forme de l’existence.