Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/147

Cette page a été validée par deux contributeurs.

le refoulement total de la sexualité de l’enfant. On ne relâche la pression que lorsque l’enfant a eu le temps de devenir son propre flic. On remarque à juste titre que souvent l’adolescent est gauche dans son corps, mal dans sa peau. Je me demande comment il pourrait s’y sentir bien. Dans Journal d’un éducastreur[1], un instituteur rendait compte de la prétendue période de latence que les scientifiques situent entre l’âge de cinq ans et la puberté. L’idée extravagante perdure selon laquelle les marmots disposeraient d’un sexe endormi. Endormi pourquoi et comment ? Pour mieux aller à l’école, mon enfant ! Et Celma de publier les rédactions d’enfants écrites sous forme de « textes libres », plus libres qu’ailleurs sans doute. On en fit des gorges chaudes…

Je ne doute pas que les enfants aient sans doute des tas de choses aussi intéressantes à faire que l’amour. Ce qui est capital, ce n’est pas la sexualité, c’est la possibilité d’être soi. Ce qui interdit une part de soi interdit l’harmonie de l’ensemble.

Officiellement, la majorité sexuelle est fixée à quinze ans, l’émancipation n’y change rien. Ceux qui oseraient aimer quelqu’un de plus jeune tomberaient sous le coup de la loi. L’article 331 du Code pénal considère qu’il y a attentat à la pudeur quand il y a relation sexuelle sans violence avec un mineur de moins de quinze ans. Mais les adultes ont aussi le moyen de punir l’amour sans même qu’il y ait eu relation physique. D’abord par l’article 334-2 qui vise « l’incitation de mineurs à la débauche[2] » et surtout par l’article 356 concernant le « détournement de mineurs » (héberger pour une nuit un mineur de moins de dix-huit ans constitue en effet un délit).

Le Code pénal, comme toujours, est l’objet d’une surenchère dans les codes de la bienséance : bien peu de gens oseraient téléphoner à un petit copain de leur enfant pour sortir seul avec lui au cinéma ou au restaurant. Ses parents trouveraient louche qu’on s’intéresse à leur gamin. Un monsieur célibataire viendrait inviter Madame seule que Monsieur en prendrait le même ombrage. Les parents réagissent en propriétaires jaloux : « Ciel ! Mon mari ! » a son très exact équivalent dans : « Ciel ! Papa ! » L’enfant ou l’adolescent surpris en train de faire l’amour risque, comme la femme adultère, au mieux d’être chassé de chez lui, au pire d’être tué (les tribunaux seront compréhensifs), plus

  1. Journal d’un éducastreur, Jules Celma, Champ Libre, 1971.
  2. J’ai horreur des notes (ça fait : « Je vous dis le dixième de ce que je sais sur la question ; d’ailleurs, si je voulais, je pourrais développer ceci par exemple… »), mais je ne résiste pas au plaisir de glisser cette information : le Code parle d’« excitation à la débauche ».