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Certes il est possible d’aimer avec sa seule tête. C’est bien un peu dommage. L’amour en sa gloire fait pétiller le sang et l’eau de notre corps, bouleverse notre sexe et nous brûle de toutes ses laves. En son vertige, il nous rougit, nous pâlit, nous vrille. L’amour en sa lumière nous accorde l’accord, la vraie vie.

Et cela comme une aspiration vient au monde avec le premier cri. Le corps veut de l’amour aussitôt qu’il est né.

Et le désir croît et le désir embellit.

Ton corps de petite enfant, si gai, sensuel, tranquille, affectueux, ton corps, je l’ai aimé comme on aime les corps. Marie, mon amour, je ne saurai jamais ce que c’est qu’être mère, je sais ce que c’est qu’être ta mère, cela inclut le désir, mais cela est aussi, sans jamais en faire l’économie, au-delà du désir.

Cependant, tu le sais bien, mon enfant lectrice, le désir est très loin de ce qu’on croit. Je me tais. Tu as toujours été pudique et je ne dirai rien en ce chapitre qui puisse offenser ta délicatesse.

Tu es aujourd’hui une adolescente, le temps est venu d’une certaine séparation. Tout est bien, ma grande. Nous avons joyeusement, candidement, profité du corps l’une de l’autre ; d’autres plaisirs nous attendent. Va, très chère, va. Je t’aime.


L’interdiction qu’on fait aux enfants et adolescents d’avoir une vie amoureuse et sexuelle est l’une des plus surprenantes qui soient. Que craint-on ? Qu’ils n’aiment le plaisir ? Qu’étant amoureux ils ne se soucient plus de se socialiser mais uniquement de s’individualiser, qu’ainsi ils ne soient plus gouvernables ? Sans doute, sans doute…

Les enfants sont interdits d’amour, entre eux (« à cet âge-là, c’est du vice ») comme avec les adultes (« ils se font forcément baiser ; la loi protège leur naïveté »).

Une théorie psychanalytique voudrait que les astucieux pédagogues profitent d’une période d’abstinence sexuelle pour faire « apprendre » les enfants. La nature ainsi ferait le lit de la culture.

Peut-être en effet y a-t-il des enfants abstinents et chastes. Que ce soit « naturel » me semble une tout autre histoire. On peut vouloir la chasteté pour des raisons excellentes. On peut aussi — qu’on m’arrête si je dis une bêtise — s’y trouver contraint par la force des choses. La force des choses, en l’occurrence, c’est la force de la pression sociale exigeant