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vivaient d’elle. J’ai aimé qu’elles et ils brûlent du désir de comprendre et que jamais elles et ils ne s’arrêtent à aucune réponse. Pas forcément toujours dans la souffrance, car le goût de comprendre peut aussi se couler en une tendresse vraie pour la connaissance. Mais la souffrance est rarement absente d’un tel désir. Souffrance de la fuite du sens, de la nuit, mais aussi de la simple fatigue.

« Bien comprendre que chaque mot est un préjugé », écrit Sulivan dans L’Écart et l’Alliance. Oh oui, ma grande petite fille, on apprend à parler bien plus tard qu’on ne le dit ! Si on connaissait la définition de chaque mot employé, on pourrait entre humains se comprendre, peut-être vivre ensemble. Mais il faudrait connaître la définition de connaître, définition, chaque, mot, employer… Nul amour, nulle amitié qui ne commence par des balbutiements, puis vient éventuellement le temps où l’on construit des phrases. L’amour est aussi une question de grammaire.

Que rien ne t’empêche jamais d’entendre le monde… Je vis l’agréable ignorance de ce que tu préféreras. Aimeras-tu la physique, la danse, le commerce, la chirurgie ? Tout est possible. Tout. Parce que aucune école n’a pu te priver du goût de l’étude.

Quand je parle du « désir de comprendre », je veux parler très exactement de ce vertige d’être attiré à l’extérieur de soi qui se conjugue à la volonté inflexible d’aller vers. Désirer comprendre, c’est le vouloir. Dès lors, qu’importe tout obstacle. Ta volonté seule gouvernera tes convoitises et aspirations. À toi la force, petite fille.

En 1842, Stirner, dans Le faux principe de notre éducation, rejette tout autre apprentissage pour l’enfant que celui de la critique, du refus. La créativité intellectuelle, dit-il, n’est possible que pour des esprits libérés de toute autorité, capables de reconnaître la fragilité de tous les savoirs. La subordination à un absolu ne peut qu’entraîner la perte de soi. Le but ultime de l’éducation ne peut être le savoir, mais le vouloir. « La vérité elle-même ne consiste en rien d’autre que dans le fait de se révéler soi-même, et cela implique la découverte de soi-même, la libération à l’égard de tout ce qui est étranger, l’extrême abstraction ou l’abolition de toute autorité, la naïveté reconquise. De tels hommes tout à fait vrais ne sont pas fournis par l’école, s’il y en a néanmoins, ils le sont malgré l’école[1]. »

  1. Le faux principe de notre éducation, Max Stirner, Aubier-Montaigne, Bibliothèque sociale, 1974.