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et j’en saurai autant que lui à la sortie de ses études. Dans les périodes d’effervescence (l’heureuse expression !), on voit s’élever sur les lieux de lutte un désir d’« universités populaires » où chacun vient recevoir une instruction à la carte.

Nous n’avons pas à réclamer le droit de choisir comment on veut être instruit, c’est comme le droit de respirer ou le droit de penser. Il faut être drôlement vicieux pour oser parler de « droit à la liberté de pensée », ce n’est pas un droit (un droit est admis, accordé), c’est une nécessité et je trouverais très plaisant de rendre des comptes à un inspecteur ou à une académie de ma décision de te laisser choisir ce que tu désires apprendre et comment. De même que si quelqu’un peut m’apprendre quelque chose, je ne lui demanderai pas d’abord de me sortir ses diplômes ; je m’arrange pour rencontrer les êtres qui désirent partager leurs connaissances. Et je n’ai de permission à demander à personne.

Les enfants aiment offrir ce qu’ils apprennent. Tu te souviens du film sur Zola que tu avais regardé à la télévision (tu avais huit ou neuf ans) et comme tu étais contente de m’apprendre ce que j’ignorais ? On a plaisir à tout âge à transmettre ce qu’on sait (seuls les enseignants prennent ça en horreur), pas seulement transmettre, découvrir aussi. J’ai passé une petite soirée impromptu autour du Grevisse[1] avec une amie, on s’est vraiment régalées ; aucune de nous deux ne s’est sans doute jamais passionnée pour la grammaire dans son enfance mais, là, quel bonheur de pénétrer l’intelligence et l’élégance d’une langue. La grammaire est une ouverture fascinante sur la manière dont une société pense. Rien que la conception du présent, du passé, du parfait et de l’imparfait peut exciter à tout âge n’importe quel esprit un rien fantasque.

Si l’enseignement est possible, il ne peut se fonder, bien évidemment, que sur l’esprit critique ; si les enfants apprennent infiniment plus avec leurs copains qu’avec les adultes (« Quand le chat n’est pas là, les souris pensent[2] »), c’est que leur sens critique est moins inhibé dans un rapport entre pairs : « tu mens », « tu exagères », « c’est pas vrai » permettent à la vraie confiance de se faire jour et l’enfant sait rapidement qui il peut croire, alors que même cette condition fondamentale de tout enseignement est de fait exclue dans le rapport imposé de l’instruction obligée, si bien que le gosse « se débrouille » pour savoir sans comprendre. Il a raison. Il ne fait aucun cas de ce qui se passe entre le maître et lui. Brillant ou médiocre,

  1. Grevisse est l’auteur d’un fameux livre de grammaire.
  2. « Proverbes d’enfants », dans Communes mesures, op. cit.