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Libérale ou non, l’éducation postule l’inachèvement de la jeunesse. Elle doit avoir une action « maturante ». Bien sûr, me dit-on, que les fruits de toute façon mûriront, mais ils seront plus beaux si on a mis de l’engrais aux arbres ! Peut-être, mais vos fruits n’ont plus de goût.

Vos enfants de serre sont insipides. Claude Duneton, dans un livre sur le désastre de l’enseignement du français, rappelle une étude faite auprès de six mille élèves d’école primaire du cours préparatoire au cours moyen sur l’utilisation de types de phrases. On constate que l’élève jugé « bon » utilise de moins en moins de types de phrases au fur et à mesure qu’il gravit les échelons de la scolarité : « Le langage du bon élève s’appauvrit sur le plan de la syntaxe. À l’inverse, le “mauvais” élève, pauvre en modèles de phrases en C.P., dispose d’un stock syntaxique plus riche que le “bon” élève. Pour lui, le paradoxe vire à l’aigre : il gagne, donc il se retrouve dans les perdants[1]. »

Au Moyen Âge ou au début des Temps modernes, on apprenait dans sa famille ou dans sa corporation ce qui devait permettre de se faire reconnaître comme compétant dans tel domaine. L’apprentissage se vérifiait pratiquement. De nos jours, on croit savoir quand on sait répéter. Je prends à Henri Roorda[2] l’exemple de la loi d’Ohm

Si l’élève dit que cela signifie qu’on obtient l’intensité du courant en divisant le nombre qui mesure la force électromotrice par celui qui mesure la résistance du conducteur, le maître est satisfait. Mais le récitant se fait-il une idée claire de ce que représentent I, E et R ? Ainsi les forts en physique sont rarement des physiciens créateurs.

Ce n’est pas beaucoup mieux dans les travaux manuels. Tu te souviens du soir où Quentin devait apprendre et réciter par cœur : « Récupération d’un fil de canette : je tiens le fil de l’aiguille. En tournant le volant vers moi, je fais descendre et remonter l’aiguille. En tirant le fil de l’aiguille, je fais apparaître une boucle. Je défais cette boucle et je place les deux fils ensemble dessous et derrière. » Et il récitait sa leçon avec peine, Quentin ! J’étais tellement ébahie que je lui ai demandé de me recopier ce que je livre donc ici textuellement. (On aura remarqué que c’est une école libérée où les petits garçons font de la couture…)

  1. À hurler le soir au fond des collèges, Claude Duneton avec la collaboration de Frédéric Pagès, Seuil, 1984.
  2. Le pédagogue n’aime pas les enfants, Henri Roorda, Delachaux et Niestlé, 1973.