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et une patience qui me font fondre de tendresse aujourd’hui. Moi, je ne comprenais qu’une infime partie de ce qu’elle me disait. Infime vraiment… Mais je constate plus de vingt ans après que les pierres d’angle de ma vie ont été fondées sur les espaces de liberté qu’elle m’a ouverts. J’ai bénéficié trois ans de sa présence. J’ai grandi. J’ai vieilli. Souvent, il m’est arrivé de me battre contre des idées « reçues » avec plus de courage que je n’en ai naturellement, en secret témoignage de reconnaissance envers elle qui m’a appris à considérer le poids de la bêtise.

De toutes mes forces aimantes, Marie, ma très chère, je te souhaite de trouver des personnes capables de t’apprendre ce que tu désireras apprendre ; apprendre est l’une des plus grandes voluptés de la vie. On ne cesse de vouloir me convaincre qu’il y a des instits ou des profs qui adorent leur métier. Je le crois volontiers. Il y en a, surtout la première année d’enseignement. Mais, monsieur Oury, qu’est-ce qui empêcherait ceux-là d’enseigner dans une société où l’école ne serait plus obligatoire ? J’en connais en effet quelques-uns qui recherchent les lieux où ils sont sûrs de se trouver face à des gens qui les réclament. Olivier qui enseigne en prison dit de son travail qu’il s’apparente à celui d’un « écoutant ». Enseigner ne veut pas dire parler. Elles et ils m’ont bien écoutée celles et ceux qui m’ont fait part de leurs connaissances… Mais comment se taire, s’entendre quand on ne s’est pas choisi ?

L’intérêt des lieux anti-scolaires qui ont existé en France, qui existent encore en Allemagne, en Italie, en Angleterre, aux États-Unis, c’est que tous les adultes qui proposent un enseignement sont ensemble de leur plein gré et espèrent quelque chose les uns des autres. C’est le cas aussi aux lycées autogérés de Saint-Nazaire et de Paris où la cooptation a été de rigueur dès l’origine du projet ; lorsque ces lycées ont pu accueillir des élèves, ceux-ci ont choisi avec les professeurs les « nouveaux » (profs ou élèves).[1]

Aucune cellule de la société ne vaut la peine d’être défendue qui n’est pas l’association d’êtres libres qui y entrent volontairement et peuvent s’en retirer à tout moment sans avoir à pâtir de rien d’autre que de la séparation de ce groupe.

Je reviendrai dans un autre livre sur la belle histoire de la Ruche de Sébastien Faure. Je note en passant que les adultes qui enseignaient dans cette anti-école ne recevaient aucune rémunération salariée pour leur travail. Ils étaient nourris et logés. Pour leurs besoins personnels, ils puisaient dans une caisse commune sans avoir à en justifier. Tu imagines

  1. Ça a aujourd’hui cessé d’être le cas.