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subir des admonestations menaçantes, des hurlements hystériques. Alors que je me gardais de te parler de l’école, tu recevais de tes camarades une caricature qui était bien issue de leur expérience. Les « grands » étaient persuadés que je t’« influençais » alors que seules tes compagnes de jeu te donnaient une « représentation » de ce qu’était à leurs yeux l’école : le lieu où « la maîtresse crie » ; je suis prête à parier que sur ces six ou sept petites filles qui allaient toutes dans des écoles différentes, certaines avaient des institutrices douces et patientes. Mais au-delà du sourire, elles percevaient l’idée essentielle qu’on les commandait, ce qu’elles traduisaient par des vociférations.

« Peut-être ce métier d’enseignant a-t-il plus qu’un autre pour effet d’abîmer les gens qui l’exercent. On a dit que le pouvoir rendait fou et que le pouvoir absolu rendait absolument fou. Il est possible que l’autorité d’un maître sur un groupe d’enfants amoche à la longue son personnage et sa personnalité. » Je me réfugie derrière Michel Tournier[1] que je n’aime pas : je trouve plaisant de l’associer à ma voix, lui qui est l’une des coqueluches du corps enseignant.


Les profs sont des « logues » (je reprends le mot à Lucien Morin, du Québec), ceux qui parlent du haut de leur savoir. D’où le danger pour un élève d’en savoir plus que son maître.

Le maître a toujours raison. C’est lui toujours qui donne la bonne réponse : que la pédagogie soit directive ou non, le message qui passe, le seul enseignement est celui-là. Le maître « guide » vers la vérité avec plus ou moins de délicatesse mais il guide, qu’il soit Socrate ou le dernier des imbéciles. Il ne saurait y échapper. C’est le propre de l’enseignant. C’est pourquoi l’instruction obligatoire est criminelle : dans ce système de scolarité obligée, un professeur qui me dit qu’il « respecte » ses élèves me fait rire. Aurait-il le cran de soutenir qu’il ne corrige pas les erreurs ? Et corriger les erreurs de qui ne le demande pas, est-ce intelligent, utile, courtois ? Qui possède la vérité ? Ses propriétaires ne pourront être que violents. La vérité s’impose ; une vérité imposée par l’un ne peut-être que supposée par l’autre et perd ainsi ce qui la fonde. Tout détenteur de savoir représente potentiellement un danger extrêmement grave pour l’esprit. À plus forte raison lorsque le maître est maître absolu de la situation comme à l’école.

Mais son pouvoir s’est démultiplié encore ces deux dernières décennies. On attend de lui qu’il psychologise. Fréquemment, il dira d’un enfant

  1. Dans Le Vent paraclet, Gallimard, 1977.