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anime ; soit qu’au contraire ils parviennent à assurer leur boulot sans trop y penser, comme on arrive quelquefois à faire la vaisselle, réservant toutes leurs énergies à ce qui les intéresse par ailleurs ; soit encore qu’ils vivent malades, déprimés et ne rêvent que de changer de métier.

Que l’on ait, depuis toujours, voulu protéger l’enfant contre les maîtres d’école ne peut surprendre qu’eux[1].

« Un maître d’école ou un professeur ne peut élever des individus ; il n’élève que des espèces[2]. » C’est bien pourquoi il peut compter sur la complicité de son auditoire. Les élèves ont eu le temps de s’accepter « élèves ». Plus tard, certains seront instits ou profs, n’ayant jamais trouvé le temps ni l’occasion dans leur petite vie de désapprendre les fadaises ingurgitées. Ils gobent tout. Les rares qui ont l’esprit critique se font insulter, ou se taisent, ou se pendent. À priori, les écoliers ne valent pas mieux que leurs enseignants. Je note cependant qu’ils risquent bien plus, en se rebellant, que les profs. Le chantage à l’affection est ici cruel, terrifiant. Bien souvent, se dresser contre l’école signifie se dresser contre TOUT son entourage, tous ceux qu’on aime ; on est menacé, dans certains milieux, d’un « placement » par l’intermédiaire de la D.D.A.S.S., dans d’autres de l’internat dans un collège où l’on sait mater les durs.

Dès les premières heures d’école, les sanctions ou récompenses ont accaparé toute l’attention émotionnelle des enfants. Si le maître ou la maîtresse « fait peur », une classe enfantine peut soudain découvrir qu’elle forme un groupe, une force. La guerre commence. De toute façon, elle viendra.

Les enseignants supportent forcément mal cette tension. Les élèves travaillent incontestablement plus que les professeurs, en moyenne dix heures par jour s’ils veulent tout faire ; dix heures consistant à apprendre (peu d’adultes accepteraient un tel effort plus de deux heures). Ils sont énervés et « insupportables ». Mais davantage les uns envers les autres qu’envers le professeur : chaque élève doit subir sa classe un nombre d’heures bien plus impressionnant que l’enseignant. En rentrant à la maison, il a plus de travail que lui, toutes copies à corriger et travail de préparation de cours confondus. L’énervement dont se plaignent élèves et professeurs n’est pas une plaisanterie, les uns et les autres alternent « remontants » et « tranquillisants ».

  1. Les écrits des enseignants, au début du siècle, sont, à cet égard, à fendre l’âme.
  2. Aphorismes, Premier cahier, 1764-1771, Georg Lichtenberg, Les Presses d’aujourd’hui, 1980.