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Ce choix du lièvre pour un rôle auquel ne l’avaient destiné ni la nature ni Buffon, voici la seule explication que nous ayons réussi à nous en donner.

Ouvrons notre livre sybillin, le recueil de nos sirandanes.

« Brèdes galoupé ? » demande l’une d’elles. — « Yève », répond le ou la sampèque.

Un lièvre pour le bonhomme Lindor, ce sont donc des brèdes qui courent. Or, des brèdes qui se sauvent pour éviter d’être cuisinées par Lindor, ce n’est déjà pas si bête. Lindor, cependant, s’accommoderait fort de ce plat de brèdes là, car le « bouillon » est rare chez lui. Henri IV, en pareille disconvenue, nous montre sa marmite renversée ; Lindor nous peint la sienne d’un trait bien autrement pittoresque : « Mo marmite pousse gomon, » — ma marmite pousse du goémon : c’est un cas original de végétation spontanée. Vous jugez si ces brèdes qui courent feraient son affaire. Notez en outre que ce lièvre fait pis encore dans le petit carreau de terre du bonhomme que le lièvre de France chez le jardinier de La Fontaine. Si ses dégâts se bornaient à n’y pas laisser de quoi faire à Margot pour sa fête un bouquet, passe encore : la Margot de Lindor ne cueille pas au champ voisin ses plus beaux ornements, la nature l’a pourvue. Mais chaque nuit le lièvre s’en vient religieusement couper au ras de terre toutes les jeunes pousses, pousses de maïs, pousses de cannes, pousses de pistaches créoles