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plutôt par des secours de protection que par des subsides en général, il faudrait que les uns et les autres dépendissent de nous par leurs besoins, mais il sera toujours bien dangereux de faire dépendre notre système de leur reconnaissance. »

Le roi de Prusse avait trahi notre confiance : ce n’était pas non plus sur la gratitude ni sur la fidélité de l’Autriche que l’on comptait, mais sur l’intérêt commun des deux États. Il était recommandé à Choiseul de « saisir le milieu qu’il y a entre une bonne foi aveugle et d’injustes ombrages ». Enfin l’instruction se fermait par de sages paroles : l’alliance nouvelle est comme tous les ouvrages humains. Elle a ses défauts. Elle « embrasse trop d’objets pour n’avoir aucun danger ». Aussi faut-il en surveiller la marche, sans toutefois se laisser dominer par l’idée des inconvénients et des périls. « Il faut tout prévoir et ne pas tout craindre. » Ainsi l’alliance autrichienne était réduite aux justes proportions d’une affaire que l’opportunité conseillait et où la France devait trouver son compte.

C’est un bien singulier phénomène qu’une opération diplomatique conçue et exécutée par des esprits aussi calculateurs et aussi froids ait pris dans l’imagination populaire le caractère d’une conjuration entre les ténébreuses puissances du fanatisme, de la corruption et de l’immoralité. Plusieurs causes ont contribué à ce résultat. La première de ces causes c’est que les foules n’aiment pas les idées neuves. Elles préfèrent les routes toutes tracées. Elles sont pour la tradition, celle qui s’impose par la force de l’habitude, au hasard, que cette tradition soit bienfaisante ou non, ou qu’elle ait cessé de l’être. La monarchie française, en adaptant son système de politique extérieure à des conditions nouvelles, se montrait manœuvrière et novatrice. Le grand public ne la suivit pas, resta paresseusement dans l’ornière, attaché à un passé mort. Peut-être eût-il fini par comprendre et par suivre le pouvoir si les conducteurs de l’opinion (c’étaient les « philosophes » ) avaient été capables de l’éclairer. Mais ils se trouvaient engagés dans la même erreur par leurs idées, par l’amour-propre et par la position qu’ils avaient adoptée. Fut-ce rencontre ou calcul ? Il se trouva que le Hohenzollern, dont la politique tendait à la destruction du système européen établi par le dix-septième siècle, fut un ami et un