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étaient ravagés, plus de deux cents milliards, somme fantastique et qu’on n’eût jamais crue réalisable, avaient été engloutis. Sur le moment, on ne se rendit pas compte du bouleversement que la guerre avait apporté et qui changeait les conditions d’existence du pays. On crut tout heureux et tout facile quand d’autres jours pénibles commençaient.

L’établissement de la paix déçut d’abord. Une victoire qui avait coûté si cher semblait nous promettre d’amples compensations. Une victoire remportée à plusieurs ne nous laissait pas les mains libres. L’expérience enseignait que des préliminaires de paix devaient être imposés à l’ennemi dans les journées qui suivaient immédiatement l’armistice. Cette précaution, à laquelle les vainqueurs ne manquent jamais, fut négligée. Mais les Alliés n’avaient convenu de rien. Un contrat qui fixait la part de chacun après la victoire avait bien été signé en 1916. La défection de la Russie l’avait rendu caduc et, plus encore, l’intervention des États-Unis. Le programme français se réduisait à une formule imprécise : « Restitutions, réparations, garanties. » Quant au président Wilson, il avait énoncé en quatorze points un programme un peu plus détaillé, mais presque aussi vague et qui demandait beaucoup de travaux et de discussions avant d’être appliqué aux réalités européennes. De plus, le danger commun ayant disparu, chacun des Alliés retournait à ses intérêts personnels, les Anglais préoccupés de la mer, les Français de leur sécurité sur le continent. Ce ne fut pas seulement dans la confusion des idées, mais dans le conflit des traditions et des intérêts que la conférence de Paris élabora une série de traités qui changeaient tout l’aspect de l’Europe, consacrant la ruine de l’Empire austro-hongrois, ressuscitant des États disparus comme la Pologne et la Bohême, baptisée Tchécoslovaquie, tandis que d’autres États recevaient des accroissements si considérables qu’ils en étaient plus que doublés : tel était le cas de la Serbie, devenue Yougoslavie. Pour la plupart, ces transformations avaient eu lieu aux dépens de l’Empire des Habsbourg, détruit et démembré, tandis que l’Allemagne, gardant son unité, restituait seulement, outre ses provinces polonaises, ce qu’elle avait pris au Danemark en 1864 et à la France en 1871. Sous aucun prétexte, nos Alliés n’avaient consenti à nous laisser d’autres frontières que