Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/710

Cette page n’a pas encore été corrigée

Sadi Carnot par un anarchiste, en 1894, le président élu fut Casimir-Perier, petit-fils du ministre « de la résistance » sous Louis-Philippe, représentant de la haute bourgeoisie. À ce moment, un ministre des cultes, Spuller, ancien compagnon de Gambetta, parlait aussi d’un « esprit nouveau de tolérance, de bon sens, de justice dans les questions religieuses ». Casimir-Perier, violemment attaqué par les socialistes, s’en allait après quelques mois en se plaignant que « la présidence de la République fût dépourvue de moyens d’action et de contrôle ». Il fut remplacé par Félix Faure, d’une bourgeoisie plus récente, mais également modéré.

Les républicains conservateurs, les Charles Dupuy, les Méline, gouvernèrent avec une seule et brève interruption, pendant près de cinq années. Malgré les attaques des radicaux et des socialistes, les modérés, appuyés sur la droite, paraissaient solidement installés au pouvoir. Il fallut, pour les en écarter, deux crises violentes, l’une au-dedans et l’autre au-dehors.

L’affaire Dreyfus, par laquelle les radicaux, alliés cette fois aux socialistes, reprirent le gouvernement, par laquelle Clemenceau rentra dans la vie publique, fut l’équivalent d’une révolution véritable. Autour du cas de cet officier juif, condamné pour trahison en 1894 par un conseil de guerre et dont l’innocence fut passionnément affirmée en 1897, deux camps se formèrent. Son nom même devint un symbole. La France se partagea en dreyfusards et en anti-dreyfusards. Cette lutte de doctrines, de sentiments, de tendances, où se heurtaient l’esprit conservateur et l’esprit révolutionnaire, répétait, sous une forme réduite et atténuée, les grandes crises du quatorzième siècle, des guerres de religion, de la Fronde, de 1789, où l’on avait vu, comme dans l’affaire Dreyfus, les « intellectuels » prendre parti, la philosophie et la littérature dans la bataille. Pendant trois années, la révision du procès Dreyfus gouverna toute la politique et finit par en déterminer le cours. Les polémiques avaient fixé les positions. Les partisans de la « chose jugée » s’étaient classés à droite et les partisans de l’innocence à gauche. Le conflit prit son caractère le plus aigu en 1899, lorsque le président Félix Faure, étant mort subitement, fut remplacé par Émile Loubet, que Paris, en majorité nationaliste, accueillit mal, et lorsque Déroulède et la Ligue des