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partage des provinces polonaises. Napoléon allait donc tout jouer dans cette campagne de Russie à laquelle il ne pouvait échapper. Vainqueur, il serait le maître de l’Orient, de Constantinople, de l’Europe entière, il obligerait enfin l’Angleterre à capituler. Vaincu, il donnera lui-même le signal de la débâcle. Ainsi, la guerre entreprise en 1792, après avoir porté les Français jusqu’à Moscou, reviendra jusqu’aux portes de Paris par un brutal et rapide reflux. Il fallut aller à Moscou pour avoir voulu conquérir en une enjambée la Belgique et la rive gauche du Rhin, et l’un ne fut pas plus insensé que l’autre.

En juin 1812, la Grande Armée franchit le Niémen, et les Russes évitèrent encore de lui offrir la bataille. Alexandre avait dit qu’il se retirerait s’il le fallait au delà de Tobolsk. Napoléon se figurait que, de Moscou, il dicterait la paix à la Russie. Les Russes brûlèrent la ville et ne firent pas la paix. Alors commença une retraite qui, après le passage de la Bérézina, tourna en débâcle. Au mois de décembre, Ney et Gérard arrivaient presque seuls à Kœnigsberg. La Grande Armée avait fondu. L’empereur lui-même l’avait abandonnée en secret, comprenant l’étendue de la catastrophe, redoutant les effets qu’elle aurait en Europe et en France même, où la conspiration du général Malet, dont la nouvelle lui était parvenue en Russie, lui avait appris combien son pouvoir était précaire et son prestige affaibli.

Désormais, l’histoire de l’Empire, c’est celle d’un rapide retour aux conditions dans lesquelles Napoléon avait pris la dictature en 1799. Pour sauver la Révolution et ses conquêtes, tâche dont les républicains eux-mêmes l’ont chargé au 18 brumaire, il a reçu de la France la permission de prendre la couronne, de fonder une dynastie, de s’emparer de la moitié de l’Europe, de lever et de tuer des hommes sans compter. Tout cela aura été vain. En quelques mois, on va être ramené au point de départ.

Si, en 1809, les succès de l’insurrection espagnole avaient encouragé l’Angleterre à persévérer et ranimé le courage des peuples conquis, en 1813, le désastre de la Grande Armée devait, bien davantage encore, déterminer l’adversaire à en finir. Les Anglais se dirent qu’il ne s’agissait plus que d’ajouter quelques sacrifices à ceux qu’ils avaient déjà faits pour en recueillir le