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seraient tenus dans les mêmes formes que ceux de 1614. Au fond, tout le monde comptait sur ces états pour y défendre ses intérêts, comme dans ceux des autres siècles. La couronne elle-même pensait que, comme autrefois, les ordres, les classes, les corps s’y combattraient et qu’elle serait l’arbitre de cette lutte. Ce n’était plus cela du tout. La réclamation du tiers état, celle du vote par tête, formulée à Vizille, devenait irrésistible. Pour l’avoir repoussée, le Parlement perdit sa popularité en un jour. Necker ayant eu l’idée, comme Calonne, de consulter les notables, ceux-ci qui, en 1787, avaient demandé des états généraux pour éviter un sacrifice d’argent, devinrent hostiles du moment que ces états ne répondaient plus à leurs calculs et s’annonçaient comme devant diminuer les deux premiers ordres au profit du troisième. Notables, Parlements regrettèrent alors d’en avoir tant appelé à la représentation nationale. Il était trop tard. Mais déjà, dans la France naguère unanime, se découvrait la prochaine scission.

Le malentendu n’était pas seulement là. On a beaucoup parlé, et avec admiration, des « cahiers » qui, selon la coutume, furent rédigés dans tous les bailliages et qui devaient résumer les vœux de la nation. En réalité, ils sont ou bien contradictoires ou bien vagues. Ils soulèvent tous les problèmes sans en résoudre aucun. Il est bien vrai qu’on n’y trouve pas un mot contre la monarchie, et la France tout entière y paraît royaliste. Mais ce qu’ils demandent équivaut à un bouleversement du gouvernement et de la société. Ils manifestent un vif attachement aux anciennes libertés et aux privilèges locaux en même temps que le désir d’unifier les lois. Surtout, et là-dessus les trois ordres sont d’accord, le principe très vieux, très naturel, que les impôts doivent être consentis, leur emploi contrôlé par ceux qui les paient, est affirmé avec vigueur. Le souci des finances, la haine du déficit et de la banqueroute, sentiments louables, s’accompagnent d’une critique impitoyable des impôts existants. On y voit que les privilégiés tiennent d’autant plus à leurs exemptions qu’elles les mettent à l’abri de la taille, c’est-à-dire de l’inquisition fiscale. Plus d’impôts personnels, plus de la taille détestée ; là-dessus, l’accord est parfait. Cette réforme sera réalisée. Réforme plus que légitime : excellente. Pour plus d’un siècle, jusqu’à nos