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L’extrême complexité de la situation politique et morale ne peut être sentie que si l’on observe, par exemple, qu’à Rennes la noblesse prit la défense de son Parlement, que des gentilshommes bretons envoyés à Paris pour protester auprès du roi tinrent un langage si insolent qu’ils furent mis à la Bastille, où ils illuminèrent, aux applaudissements du peuple de Paris, le jour de la chute de Brienne. En Dauphiné, la noblesse comptait peu, se confondait avec la bourgeoisie. Là toutes les classes s’unirent pour la défense du Parlement dauphinois. Une assemblée des trois ordres se tint spontanément, et, le gouvernement lui ayant interdit Grenoble, siégea à Vizille, d’où partit, le 21 juillet, une déclaration qui retentit à travers la France. Programme clair, complet, dont le juge Mounier était l’auteur, frappant résumé des idées qui flottaient partout depuis dix ans, que les ministres eux-mêmes avaient lancées ; pas de réformes, pas de subsides, sans le vote préalable des états généraux ; élection de tous les députés ; double représentation du tiers état ; enfin, vote par tête et non par ordre, c’est-à-dire possibilité pour le troisième ordre d’avoir la majorité sur les deux autres. La formule courut la France, eut un immense succès. La vieille outre des états généraux, remise en honneur par les amateurs d’anciennetés, allait s’emplir de vin nouveau. Chose curieuse, qui n’étonne plus après ce que nous avons vu déjà : des retardataires comptaient sur les états pour y faire de la politique, y défendre habilement leurs intérêts, comme à ceux de 1614. Certains « cahiers » montrent que la noblesse espérait rejeter le poids des impôts sur le clergé et réciproquement. Il n’y aura qu’un grand balayage, où disparaîtront privilèges, exemptions, vieilles franchises provinciales, Parlements eux-mêmes, gouvernement et monarchie, tout ce qui avait cru, par le retour à l’antique institution, se conserver ou se rajeunir.

Lorsque fut lancée la proclamation de Vizille, Brienne avait déjà, le 5 juillet, annoncé les états sans toutefois fixer de date pour les réunir. L’assemblée du clergé, en refusant de fournir un secours d’argent, avait porté le coup de grâce à cet évêque-ministre. Dans tout ceci, les questions financières épousent les questions politiques. Le Trésor était vide, réduit aux expédients. On était sur le point de suspendre le service des rentes. Il