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accompli en écarte le risque jusqu’au 4 août 1914, cette erreur habitera l’esprit des Français…

Pour séduire la France déçue et lassée, pour la flatter dans son besoin de repos, aux dépens même de sa sécurité, Thiers déposait le germe d’une grande discorde nationale aux origines de la troisième République. La France ne resterait pas toujours dans la démoralisation où l’avait jetée la défaite. Elle aspirerait à son relèvement. Alors, deux courants se formeraient qui entreraient en lutte. Il y aurait ceux qui, partisans du moindre effort, accepteraient que la France fût désormais une puissance de second ordre, et ceux qui, ne se résignant pas au fait accompli, voudraient une politique de réparation, une politique fière et qui n’abdiquerait pas. Ainsi de nouveaux conflits s’ouvriraient.

Les deux conceptions s’étaient déjà trouvées en présence, en attendant de se heurter, lorsque Thiers avait présenté sa loi de réorganisation militaire. La presse et l’Assemblée avaient trouvé son projet insuffisant et le lui avaient fait élargir : cette presse et cette assemblée, également pacifiques, étaient pourtant patriotes et relevaient déjà la tête. Peut-être le chef du pouvoir exécutif voulait-il se laisser forcer la main. Peut-être préférait-il cette méthode parce qu’elle lui permettait de donner des apaisements à Bismarck, menaçant, soupçonneux, et qui surveillait avec humeur les progrès de notre convalescence. Toutefois, est-ce pour la même raison que Thiers allait jusqu’à faire prévoir la possibilité d’une alliance franco-allemande ? En mai 1872, l’ambassadeur d’Allemagne rendait compte à son gouvernement d’une conversation où Thiers avait chaleureusement affirmé « son désir de maintenir la paix, une longue paix ». Et Thiers avait même ajouté : « Après bien des années, quand la France aura retrouvé ses forces, sa tendance prédominante devrait être nécessairement celle de chercher une compensation pour les pertes subies, et si, un jour, l’Allemagne devait être entraînée dans des embarras avec d’autres puissances, le moment serait venu de régler ces comptes. Mais cela ne voudrait pas dire que, dans un cas pareil, la France devrait se lever contre l’Allemagne. Il ne serait pas impossible d’envi-