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1848 et 1849, mais par le fer et par le sang. » Ces paroles de Bismarck avaient germé dans les esprits sous l’influence de Sadowa. Les Allemands s’étaient laissé gagner, comme Bismarck le disait avec justesse, lisant bien dans leur cœur, « par l’attrait d’une politique résolue et vaillante qui avait le succès pour elle ». De même que le libéralisme, le vieux particularisme conservateur avait fondu au feu de la victoire. En quelques mois, le sentiment national fit une poussée prodigieuse. Von der Pfordten, le ministre bavarois qui, en 1866, nous suppliait de passer le Rhin, protestait à Berlin qu’ « un cœur allemand battait dans sa poitrine ». Les princes eux-mêmes, suivant le courant populaire, se ralliaient pour sauver leur couronne. Avec les années, ce mouvement devait croître et embellir. Au moment de la fondation de l’Empire, dans un conseil tenu à Munich, la famille royale de Bavière avait tenté de dissuader le roi Louis II de reconnaître la suprématie de la Prusse. Un jeune prince qui était là faisait valoir la balle prussienne qu’en 1866 il avait reçue dans le corps. Depuis, ce jeune prince est devenu le roi Louis III. Sa chair conserve toujours le plomb prussien. Mais nous l’avons connu avide d’annexions, et son fils, le prince Ruprecht, a commandé une armée en France comme le Kronprinz impérial lui-même, avec qui il n’a rivalisé que de haine contre nous. Toute l’évolution de l’Allemagne depuis un demi-siècle tient dans cet exemple bavarois...

Rudement tiré de son rêve, Napoléon III venait de voir comment la Prusse le payait de ses complaisances et combien l’existence d’une grande Allemagne était peu faite pour rassurer ses voisins et préparer les États-Unis d’Europe. La Prusse avait grandi sans compensation pour la France. Les traités de 1815 étaient détruits dans ce qu’ils avaient de gênant pour la nationalité germanique et restaient intacts dans ce qu’ils avaient de cruel pour nous : c’était une duperie intolérable. Voilà pourtant à quoi n’aurait pas échappé Napoléon III. Quand il avait réclamé le dédommagement promis, Bismarck ne s’était pas contenté de renier sa parole il avait excité le patriotisme allemand en révélant les demandes françaises qui portaient sur le Rhin. Puis il avait suscité le mécontentement de l’Angleterre en lui faisant connaître que l’empereur convoitait la Belgique. Enfin, quand Napoléon III avait voulu se