Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/228

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Jours réparateurs », disait Sainte-Beuve. C’était l’illusion générale, et comme elle était profonde ! Toute la clairvoyance de Sainte-Beuve, ébloui par des apparences, ne distinguait pas dans quel labyrinthe la France était entrée.

Car la guerre de Crimée n’était qu’un commencement. Les batailles de Sébastopol n’avaient pas de sens si elles n’étaient pas la préface d’autres batailles, ces « fêtes » où le vieux sergent de Béranger avait souhaité à ses petits-fils de trouver un « beau trépas ». La liberté de mouvement acquise en Europe par la France, depuis que la Russie était abaissée, devait entraîner une action et une guerre nouvelles. Le refus opposé à l’alliance offerte par l’Autriche, pour être logique, devait être suivi d’une guerre contre l’Autriche. Il fallait que l’Autriche fût battue comme l’avait été la Russie pour que le principe des nationalités pût triompher en Europe. Mais l’Autriche ne nous donnait pas de grief. Nulle part ses intérêts ne heurtaient les nôtres. Pour avoir la guerre, Napoléon III dut la chercher et la provoquer. À la réception du 1er janvier 1859, il adressait lui-même, publiquement et dans son propre palais, des paroles presque injurieuses à l’ambassadeur autrichien. La France n’a peut-être jamais fait de guerre plus gratuitement et plus volontairement déclarée que cette guerre démocratique, approuvée et applaudie par tout le libéralisme français, parce qu’elle était entreprise contre une puissance réactionnaire et pour la libération des peuples. Fatale erreur, et que le peuple français devait payer cher !

Cette campagne de Lombardie, marquée par des victoires, mais des victoires difficiles et disputées, comme elle justifiait les hommes prudents qui avaient résisté au parti de la guerre et qui avaient averti la France que, si forte fût-elle, elle ne pouvait pas se permettre de bouleverser l’Europe et que c’eût été folie de nous exposer à une coalition ! Napoléon III comprit le danger lorsqu’il s’aperçut que, pour affranchir l’Italie, il ameutait contre lui tout le monde germanique. Cependant la Russie se réjouissait de nos embarras. L’Angleterre ne faisait pas un geste pour nous en tirer, contente si son Palmerston avait approuvé de loin la théorie libérale du principe des nationalités. Alors Napoléon III, inquiet et cédant au parti de la sagesse, signa les préliminaires de Villafranca. Il fit sa paix