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guerres, où les hommes, cette fois, périront par millions. Car les nouveaux venus, les « nouveau-nés du temps », voudront conquérir, à leur tour, ce qu’ils appelleront leur « place au soleil ». Alors le peuple français, meurtri, dépouillé, menacé dans sa vie, tournera les yeux vers Moscou. La génération qui suivra celle de la guerre de Crimée cherchera un tsar et n’en trouvera plus que l’ombre.

« L’envoi d’une armée française en Crimée avait pour but de mettre fin à la prépondérance de la Russie, ainsi qu’à l’isolement de la France. » C’était une campagne qui devait avoir pour effet de « rendre à notre pays sa situation normale dans les conseils de l’Europe... Nous ne pouvions redevenir les amis de la Russie qu’après avoir été ses adversaires ». Voilà comment Drouyn de Lhuys, notre ministre des Affaires étrangères, définissait et justifiait pour lui-même l’expédition. Il importait à ses yeux d’écarter la Russie de l’Orient, mais plus encore de l’affaiblir. Comme il le disait, l’Orient était secondaire au regard de la grande politique. Le but à atteindre, c’était de ramener en France le centre de gravité de l’Europe, en sorte que l’Europe n’eût plus à choisir entre la Russie et la Révolution. Ce fut le programme que le ministre français, empreint des traditions conservatrices, alla développer à Vienne. Il fit valoir avec succès, dans la ville de Metternich, les avantages d’une triple alliance franco-austro-anglaise, à laquelle viendrait naturellement s’adjoindre plus tard l’Empire russe assagi, et qui garantirait la tranquillité européenne contre les agitations des nationalités. L’esprit conservateur de Drouyn de Lhuys ne reprenait pas seulement le système de Guizot. Il reconstruisait la Sainte-Alliance pour prémunir l’Europe contre les conflits de races. Mais, déjà, la guerre de Crimée, échappant aux limites tracées par le diplomate et déjouant ses calculs, avait profité surtout à la Prusse et au Piémont, les deux États dont il craignait l’ambition remuante. La guerre contre la Russie avait été l’occasion que Bismarck et Cavour, chacun de son côté et dans des camps opposés, avaient saisie au vol, pour avancer, celui-ci, en intervenant, les affaires de l’unité italienne, celui-là,