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CHAPITRE IV

LA JUSTICE FAIT FAILLITE À L’INTÉRIEUR (1848)


L’idéal qu’avait rêvé ma jeunesse,
Le ciel où montaient mes espoirs perdus,
Ce n’était pas l’art, l’amour, la richesse,.
C’était la justice, et je n’y crois plus.

Louis Ménard.

La justice est le ciel où les cœurs endoloris se retrouvent.

Proudhon.


AU mois de février 1848, le cœur de la France éclata. Tout ce que le peuple rêvait depuis 1815 partit d’un seul coup dans une effusion extraordinaire. Un tumulte aussi vaste et aussi soudain de sentiments et d’idées n’a eu d’équivalent à aucune époque. Ce fut la crise religieuse de la démocratie.

Lorsqu’après l’abdication et le départ de Louis-Philippe la foule pénétra aux Tuileries, on vit, au milieu de quelques scènes d’orgie banale, les spectacles les plus étranges. Dans l’oratoire de la reine, un jeune polytechnicien, sans doute un adepte du christianisme républicain de Buchez, saisit le crucifix en s’écriant « Voici notre maître à tous. » Et suivi d’un grand nombre d’insurgés, il porta processionnellement la croix jusqu’à l’église prochaine. Au même moment, des orateurs populaires se succédaient sur les degrés du trône royal. L’un d’eux fit l’éloge de Louis-Napoléon Bonaparte. Bientôt, le meuble symbolique lui-même fut enlevé, jeté par une fenêtre : il devait, quelques instants plus tard, brûler sur la place de la Bastille, au pied de la colonne de Juillet. Flaubert, dans l’Éducation Sentimentale, a peint cette scène : « Alors, dit-il, une