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jeune Allemagne, elle est nationaliste avant tout. Le libéralisme ne lui apparaît que comme un moyen de briser les obstacles que le tsar, Metternich, Talleyrand, les traités de 1815, ont mis à l’expansion de la nationalité allemande. Ce que veut cette Allemagne qu’agitent des idées nouvelles, c’est son unité.

Pour les idéologues de la jeune Allemagne, pour les imagiginatifs sans expérience, l’unité germanique ne peut manquer de renaître puisqu’ils la conçoivent. L’idée a surgi des principes révolutionnaires, des droits de l’homme, des guerres napoléoniennes qui ont réveillé la conscience nationale. Elle est encore dans la gangue du dix-huitième siècle. Elle est mélangée de cosmopolitisme, d’idéalisme humanitaire. Elle n’en a que plus de rayonnement. Elle n’en pénètre que mieux les esprits et les cœurs. Le romantisme catholicisant y retrouve le passé dont il a le culte. Pour les libéraux, elle représente le progrès. C’est une force sentimentale. Mais, déjà, des esprits positifs s’occupent de trouver les formes dans lesquelles l’idée sera coulée. Ceux-là savent bien que, pour ne pas s’évanouir, le rêve de l’unité allemande a besoin d’être transposé dans des réalités politiques. Les Allemands veulent revivre comme une grande et puissante nation. Ils veulent reconstituer un Empire germanique. Leur désir a autant d’ardeur que d’ignorance. Alors, devançant et guidant la foule, quelques hommes lui montrent le chemin de l’avenir, et ce chemin doit passer par la Prusse.

Stein n’était pas né Prussien. Son nationalisme allemand l’avait porté vers l’État des Hohenzollern, l’avait conduit à le rajeunir, à le transformer, malgré les résistances de ces conservateurs que Bismarck devra briser à son tour. « Je n’ai qu’une patrie qui s’appelle l’Allemagne », disait Stein. C’est pourquoi, avec les patriotes réformateurs, il s’applique à faire de la Prusse un État capable de prendre la direction du mouvement national, un État moderne en même temps qu’un État fort. Il l’habille au besoin du temps et à la mode du jour. Il y détruit, comme un Richelieu, les survivances de la féodalité. Il s’inspire, pour l’administration, des modèles français et, pour les lois, du code Napoléon. Mais c’est qu’il veut faire de la Prusse un État plus national, car il ne touche à rien de ce qui lui donne sa force, ni au pouvoir, ni à la discipline, ni à l’autorité.