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viennent quand on reste à ne rien faire sur une chaise longue. Oh ! plus — tantôt graves, tantôt nues,  — les idées du temps où l’on était un mec. Celles-là, malgré tout, elles portaient un sourire. Celles-ci, un poing à la tempe, un coude aux genoux, on aurait dit, sombre, cette Mélancolie de Dürer qu’il voyait précisément au-dessus de sa chaise longue. Seulement les siennes n’avaient pas d’ailes.

Marie disait :

— À quoi penses-tu ?

— À rien, maman.

Il comptait :

Trente-trois, trente-quatre, trente-cinq, tu as trente-cinq ans. Ta femme, tu as beau l’appeler « Maman », tu n’es plus un gosse. Cordieu ! Sois un homme. Tu réfléchis à tel conte ; autrefois, on t’a dit : « Mon cher, quand on a fait ce conte, on en fait d’autres… » Tu rumines de tes phrases : « Si j’avais le temps,… je les écrirais comme cela… » Allons donc ! Qu’as-tu fait de ton temps ? Tes poules te gênaient… ou bien ta barre… ou bien ta femme… Mon cher, quand c’est les poules… ou bien sa barre… ou bien sa femme, il y a un mot. Émile ne te l’a pas dit, personne ne te le dira, mais ta Marie même le pense…

— Un raté ?

— À la bonne heure. D’ailleurs écrire !… Est-ce que les Trappistes écrivent, est-ce que Benoît écrivait, tes confrères est-ce qu’ils écrivent ? Écrire, c’est comme quand on a mal aux dents ; on envie les autres qui n’ont pas mal. La vie t’a arraché cette dent. Ne fourre donc pas tout le temps la langue dans ce trou.