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les apologies de l’usure

tique est une douche glacée. C’est dur, sec, terne, morne, lugubre ; une visite au bagne, à l’hôpital, aux tables de nécropsie ; le tombeau des illusions et des rêves généreux.

Dans ces pages arides, pas une trace de l’idée de justice, pas un écho de la conscience. Rien que l’égoïsme, dans sa nudité farouche, la guerre d’homme à homme, le code de l’extermination mutuelle. Ce code pourtant à ses fanatiques. On sait que Jérémie Bentham, dans un livre célèbre, a fait l’apothéose de l’usure. « Le grrand Bentham ! » disait un jour avec emphase un prêteur à tous crins, le « grrrrrand Bentham ! » Le mot grand ne tirait de sa gorge que cinq à six r. Mais dans l’accent de la voix, il y avait plus de cinquante points d’exclamation.

Soit. « Les admirations sont proportionnelles aux caractères », dirait un fourriériste. Va donc pour le grrrand Bentham ! Cependant, passer les travailleurs au laminoir, pour en extraire des écus. n’est pas un procédé qui ravisse tout le monde d’enthousiasme. Au récit de cette aimable opération, plus d’un lecteur sent gronder sourdement au fond de son âme la colère et la révolte. Et cependant, en dépit de l’indignation et du dégoût, une sorte d’attrait douloureux enchaîne les regards à ce spectacle d’iniquités qui nous montre à fond l’ulcère rongeur de l’espèce humaine.