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pareillement aussi les hébreux n’écrivirent leurs livres sacrés et ne les réunirent en un corps rituel qu’à une époque beaucoup plus basse qu’on ne le croit... Mais ces recueils hébreux ou arabes regardent des spécialistes en littératures orientales[1]. »

Pour « les chants des Germains », Wolf ne faisait que reprendre un exemple longuement invoqué et ressassé depuis trente ans : les poésies d’Ossian, publiées par Macpherson et discutées par nos philosophes et critiques de France[2], avaient inspiré à Herder et autres théoriciens d’outre-Rhin les explications qui devaient, durant un siècle, encombrer l’histoire de toutes les littératures primitives, sur la « poésie de nature » opposée à la « poésie d’art », sur les « chants du peuple », instinctifs et géniaux, nuageux et brûlants, et les « vers d’écrivains », savants et réguliers, mais transparents et froids. Wolf appliquait timidement à Homère ces théories nouvelles : sans trop « dévoiler » sa pensée, sans se compromettre, il « faisait signe » aux révolutionnaires et aux initiés qu’il était de cœur avec eux : « Plus la poésie devient art, disait Herder, plus elle s’éloigne de la nature, je mehr die Poesie Kunst wird, je mehr entfernt sie sich von der Natur ». Wolf disait à mi-voix que « tout cet art homérique était en une certaine façon plus proche de la nature et qu’il avait sa source, non pas dans certaines règles formulées par les livres, mais dans un sens inné du vrai et du beau[3] ». Il ajoutait qu’ « en cela

  1. Prolegomena, p. 156 : sed de his [hebraeis] et arabicis collectionibus viderint homines eruditi litteris Orientis.
  2. Voir là-dessus le livre de Joseph Texte, Jean-Jacques Rousseau et le Cosmopolitisme littéraire, en particulier page 391.
  3. Prolegomena, p. 42-43 : omnem artem illam naturae quodammodo propiorem esse apparet neque ex disciplinae cujusdam formula prescripta libris, sed ex nativo semel recti et venusti delibatam.... ; vates ille...apud gnaros rerum et intelligentes novo decore et gratia effloruit.