Page:Bérard - La résurrection d’Homère, 1930, 2.djvu/135

Cette page a été validée par deux contributeurs.
Aucune traduction, surtout en prose, ne reproduira l’admirable beauté d’Homère quand Homère est sublime ; mais une prose bien conçue (qu’on nous pardonne ce mot, qui rend seul notre idée) pourra toujours en reproduire les qualités secondaires et constantes, la forte simplicité, le naturel et même la cadence musicale. Il faudrait pour cela renoncer aux prétentions d’auteur, à quelques scrupules de l’Académie et du beau monde, admettre çà et là certaines coupes de phrase un peu brusques, puiser au besoin dans notre vieille langue des mots encore faciles à comprendre aujourd’hui...

Cette « prose bien conçue » que réclamait É. Egger, est-ce Salammbô qui nous la donne ? On sent en la moindre phrase de Flaubert qu’il l’a fait, suivant son mot épique, passer d’abord par son « gueuloir ». Mais on sent bien aussi qu’un public grec n’eût goûté qu’à demi ces sonorités trop savantes ou trop profondes, ces coupes trop heurtées, cette harmonie trop raffinée : les sens et l’esprit d’un Grec voulaient dans l’œuvre d’art plus de simplicité et même de sécheresse, plus de symétrie, même géométrique ; un temple grec est d’abord un rectangle de colonnades ; une statue grecque est un corps nu ou une retombée de vêtements aux plis réguliers ; les anatomies trop scientifiques, les muscles trop saillants, les gestes trop élégants et les visages trop expres-