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l’exécution de ses propres pensées, avant de céder à son inspiration il se sondait scrupuleusement, et il hésitait. Il avait bien glissé çà et là, dans ses chansons les plus applaudies, quelque couplet tendre et grave. Si j’étais petit oiseau avait obtenu un succès unanime ; son triomphe décisif fut le Dieu des bonnes gens. Un jour il dînait chez M. Étienne, auteur comique, habile écrivain, qui a eu l’art de se montrer aussi spirituel dans sa conduite que dans ses œuvres, sous la République, sous l’Empire et sous la Restauration. La compagnie était nombreuse ; au dessert, selon l’usage, on pressa Béranger de chanter. Il commença d’une voix un peu tremblante, mais l’applaudissement fut immense, et le poëte vit en cet instant tomber la barrière qu’il redoutait ; il comprit qu’il pouvait être tout à fait lui-même, et rester simple chansonnier. Dès lors il s’est noblement obstiné à n’être que cela littérairement et politiquement. Un goût fin, un tact chatouilleux, une probité haute, l’ont constamment dirigé dans ses nombreux et invincibles refus. Place dans les bureaux de M. Laffitte, fauteuil à l’Académie, invitation à la cour, rien ne l’a tenté ; le même sentiment de convenance et de dignité l’a inspiré. Il a compris son rôle de chantre populaire, et s’y est tenu.

Et en effet, du moment que Béranger pouvait développer en chansons sa pensée tout entière, que lui fallait-il de mieux ? Ce genre nouveau, c’était l’accomplissement de son rêve : le monde, la vie, et leur infinie diversité ; pas d’étiquette apprise, pas de poétique obligée, et tout le dictionnaire. D’un autre côté il comprit que plus l’espace s’élargissait devant lui, moins il avait à se relâcher des sévérités du rhythme. Le refrain, c’était l’âme des