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Le feu de bois qui m’encourageait à des réflexions rê veuses devient poitrinaire à l’arrivée du printemps et pour ne pas manquer de cœur j’en ai collé cinq pour tapisserie ; ils ont 40 centimètres de long, deux veillent à ma tête et trois autres gardent mon corps. J’éloignai les carreaux jaunes et rouges qui les avaient précédés ; ils étaient trop froids, le pique et le trèfle, demi-deuil, trop noirs ou de fantaisie.

Si j’ai su, dans les restaurants, tous les noms de la carte des vins, au lycée des généalogies royales et ducales, et, pour mes parents, tous les saints et saintes officiels du calendrier grégorien, ce fut dans une autre existence : ces choses ne m’atteignent plus.

Depuis, j’ai banni les chevaux du Grand Steeple-Chase de Dieppe de 1806 : ma tête craignait la chute d’une gravure si vaste et munie de vitre. Egalement je fis descendre Black Prince, vainqueur cependant du Derby de Chantilly : un soleil indiscret, dominant l’écurie, gênait ma vue.

Les chevaux bannis se sont vengés. Ils sont revenus, durant la sieste prescrite où je ferme les yeux, ceux de 1848, de 1856 et de 1921. Le plateau à thé bascula sous leur chevauchée, les tasses de Chine sont tombées sans bruit. Ils ont sauté l’édredon, grimpé tous les meubles. Les casaques de satin, gonflées de couleur, se balancent comme des fruits ou de petites lampes électriques. Mes yeux n’ont pu les arrêter.

Après toutes ces choses, je suis encore couché dans mes draps, replié sur moi-même comme une voile pliée