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question lui brûlait les lèvres – mais elle avait fait l’effort de garder le silence ! Pour passer dans la salle à manger, les deux jeunes filles fermèrent la marche en se donnant le bras, avec un semblant de cordialité qui seyait à merveille à leur beauté respective.




XXXV


Quand les dames rentrèrent au salon, après dîner, Emma s’aperçut qu’il était presque impossible d’empêcher la formation de deux groupes distincts, tant Mme Elton apportait de persévérance à se montrer mal élevée en se consacrant à Jane Fairfax : celle-ci s’efforçait, mais en vain, d’échapper à cet accaparement. Il ne restait à Emma et à Mme Weston d’autre alternative que de causer entre elles ou de se taire. Pendant ce temps Mme Elton entretenait Mlle Fairfax à voix basse, pas assez basse néanmoins pour empêcher Emma d’entendre les principaux points de leur conversation : après une nouvelle allusion au bureau de poste, aux lettres et aux remèdes suggérés par l’amitié, Mme Elton aborda un sujet inédit qui ne devait pas du reste être plus agréable à son interlocutrice :

— Avez-vous entendu parler, ma chère Jane, d’une situation convenable ? Nous voici déjà en avril ; je commence à être tout à fait préoccupée à votre sujet. Le mois de juin approche.

— Mais je n’ai pas fixé le mois de juin ; je n’ai fait que parler de l’été comme l’époque probable de ma décision.

— N’avez-vous vraiment aucune indication ?

— Je n’ai même pas tenté la moindre démarche.

— Oh ! ma chère, nous ne pouvons pas commencer trop tôt nos investigations ; vous ne vous rendez pas bien compte des difficultés qui nous attendent. Avez-vous pensé aux nombreuses conditions qui doivent se trouver réunies ?

— Je puis vous donner l’assurance, ma chère Madame Elton, que j’ai envisagé le problème sous toutes ses faces.