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avec les Martin avait été plutôt opportune : elle avait amorti le premier choc sans laisser derrière elle de traces durables. De la façon dont vivait Harriet à présent, les Martin pouvaient difficilement arriver jusqu’à elle moins à d’aller la chercher chez Mme Goddard où leur fierté les avait toujours empêchés de se présenter ; depuis un an en effet les deux sœurs n’étaient jamais venues voir leur ancienne maîtresse de pension. Selon toute probabilité une autre année s’écoulerait sans amener une nouvelle entrevue.




XXII


Le monde traite avec bienveillance ceux ou celles à qui la fortune paraît sourire et une jeune fille sur le point de se marier se découvre généralement des amis.

Le nom de Mlle Hawkins avait été prononcé pour la première fois à Highbury, il y avait à peine une semaine, et déjà on lui avait octroyé en apanage les divers dons du corps et de l’esprit : on assurait qu’elle était belle, élégante, accomplie et très aimable. Aussi M. Elton, venu pour jouir en personne de son triomphe et publier les mérites de sa fiancée, ne put-il ajouter grand chose à un signalement aussi flatteur : il communiqua le nom de baptême de la jeune personne et la liste des compositeurs qu’elle préférait.


M. Elton avait quitté Highbury cruellement offensé ; il était d’autant plus déçu qu’il croyait ses espoirs fort légitimes et solidement étayés sur des encouragements positifs ; or, non seulement il n’obtenait pas la jeune fille qu’il convoitait, mais encore il se voyait rabaissé au niveau d’une alliance inférieure. Sa riposte ne se fit pas attendre : parti après avoir subi l’affront d’être refusé, il revenait fiancé ! Il se sentait satisfait de lui-même et des autres, enthousiaste, optimiste ; il nourrissait pour Mlle Woodhouse des sentiments de parfaite indifférence et n’éprouvait pour Mlle Smith qu’une méprisante commisération.