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LE NAIN JAUNE

la fée du Désert ; mais il ne m’est pas supportable qu’elle protège le Nain jaune contre moi, et qu’elle me tienne enchaîné comme un criminel. Qui lui ai-je fait ? j’ai aimé une princesse charmante ; mais si elle me rend ma liberté, je sens bien que la reconnaissance m’engagera à n’aimer qu’elle. — Parlez-vous sincèrement ? lui dit la nymphe déçue. — N’en doutez pas, répliqua le roi, je ne sais point l’art de feindre, et je vous avoue qu’une fée peut flatter davantage ma vanité, qu’une simple princesse ; mais quand je devrais mourir d’amour pour elle, je lui témoignerai toujours de la haine, jusqu’à ce que je sois maître de ma liberté. »

La fée du Désert, trompée par ces paroles, prit la résolution de transporter le roi dans un lieu aussi agréable que cette solitude était affreuse, de manière, que l’obligeant à monter dans son chariot où elle avait attaché des cygnes au lieu de chauves-souris, qui le conduisaient ordinairement, elle vola d’un pôle à l’autre.

Mais que devint ce prince, lorsqu’en traversant ainsi le vaste espace de l’air, il aperçut sa chère princesse dans un château tout d’acier, dont les murs frappés, par les rayons du soleil, faisaient des miroirs ardents qui brûlaient tous ceux qui voulaient en approcher ; elle était dans un bocage, couchée sur le bord d’un ruisseau, une de ses mains sous sa tête, et de l’autre elle semblait essuyer ses larmes ; comme elle levait les yeux vers le ciel, pour lui demander quelque secours, elle vit passer le roi avec la fée du Désert, qui, ayant employé l’art de féerie où elle était experte, pour paraître belle aux yeux du jeune monarque, parut en effet à ceux de la princesse la plus merveilleuse personne du monde. « Quoi ! s’écria-t-elle, ne suis-je donc pas assez malheureuse dans cet inaccessible château, où l’affreux Nain jaune m’a transportée ? Faut-il que, pour comble de disgrâce, le démon de la jalousie vienne me persécuter ? Faut-il que par une aventure si extraordinaire, j’apprenne l’infidélité du roi de Mines-d’Or ? Il a cru, en me perdant de vue, être affranchi de tous les serments qu’il m’a faits. Mais qui est cette redoutable rivale, dont la fatale beauté surpasse la mienne ? »

Pendant qu’elle parlait ainsi, l’amoureux roi ressentit une peine mortelle de s’éloigner avec tant de vitesse du cher objet de ses vœux. S’il avait moins connu le pouvoir de la fée, il aurait tout tenté pour se séparer d’elle, en lui donnant la mort, ou par quelque autre moyen que son amour et son courage lui auraient fourni. Mais que faire contre une personne si puissante ? Il n’y avait que le temps et l’adresse qui pussent le retirer de ses mains.

La fée avait aperçu Toute-Belle, et cherchait dans les yeux du roi à pénétrer l’effet que cette vue aurait produit sur son cœur. « Personne ne peut mieux que moi vous apprendre, lui dit-il, ce que vous voulez savoir ; la rencontre imprévue d’une princesse malheureuse, et pour laquelle j’avais de l’attachement avant d’en prendre pour vous, m’a un peu ému ; mais vous êtes si fort au-dessus d’elle dans mon esprit, que j’aimerais mieux mourir que de vous faire une infidélité. — Ah ! prince, lui dit-elle, puis-je me flatter de vous avoir inspiré des sentiments si avantageux en ma faveur ? — Le temps vous en convaincra, madame, lui dit-il ; mais si vous vouliez me convaincre que j’ai quelque part dans vos bonnes grâces, ne me refusez point votre secours pour Toute-Belle. — Pensez-vous à ce que vous me demandez ? lui dit la fée, en fronçant le sourcil, et le regardant de travers. Vous voulez que j’emploie ma science contre le Nain jaune, qui est mon meilleur ami ; que je retire de ses mains une orgueilleuse princesse, que je ne puis regarder que comme ma rivale ! »

Le roi soupira sans rien répondre ; qu’aurait-il répondu à cette pénétrante personne ?

Ils arrivèrent dans une vaste prairie, émaillée de mille fleurs différentes ; une profonde rivière l’entourait, et plusieurs ruisseaux de fontaine coulaient doucement sous des arbres touffus, où l’on trouvait une fraîcheur éternelle ; on voyait dans l’éloignement, s’élever un superbe palais, dont les murs étaient de transparents émeraudes. Aussitôt que les cygnes qui conduisaient la fée se furent abaissés sous un portique, dont le pavé était de diamants, et les voûtes de rubis, il parut de tous côtés mille belles personnes qui vinrent la recevoir avec de grandes acclamations de joie ; elles chantaient ces paroles :


Quand l’amour veut d’un cœur remporter la victoire,
On fait pour résister des efforts superflus,
On ne fait qu’augmenter sa gloire,
Les plus puissants vainqueurs sont les premiers vaincus.


La fée du Désert était ravie d’entendre chanter ses amours ; elle conduisit le roi dans le plus superbe appartement qui se soit jamais vu de mémoire de fée, et elle l’y laissa quelques moments pour qu’il ne se crût pas absolument captif. Il se douta bien qu’elle ne s’éloignait guère et qu’en quelque lieu caché elle observerait ce qu’il faisait ; cela l’obligea de s’approcher d’un grand miroir, et s’adressant à lui : « Fidèle conseiller, lui dit-il, permets que je voie ce que je peux faire pour me rendre agréable à la charmante fée du Désert, car l’envie que j’ai de lui plaire m’occupe sans cesse. » Aussitôt il se peigna, se poudra, se mit une mouche, et, voyant sur une table un habit plus magnifique que le sien, il le mit en diligence.

La fée entra si transportée de joie, qu’elle ne pouvait la modérer. « Je vous tiens compte, lui dit-elle, des soins que vous prenez pour me plaire, vous en avez trouvé le secret, même sans le chercher ; jugez donc, seigneur, s’il vous sera difficile, lorsque vous le voudrez ! »

Le roi qui avait des raisons pour dire des douceurs à la vieille fée, ne les épargna pas, et il en obtint insensiblement la liberté de s’aller promener le long du rivage de la