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L’OISEAU BLEU.

Il la trouva avec une légère robe de taffetas blanc, qu’elle portait sous ses vilains habits, ses beaux cheveux couvraient ses épaules ; elle était couchée sur un lit de repos et une lampe un peu éloignée ne rendait qu’une lumière sombre. Le roi entra tout d’un coup, et son amour l’emportant sur son ressentiment, dès qu’il la reconnut, il vint se jeter à ses pieds, il mouilla ses mains de ses larmes et pensa mourir de joie, de douleur et de mille pensées différentes qui lui passèrent en même temps dans l’esprit.

La reine ne demeura pas moins troublée ; son cœur se serra, elle pouvait à peine soupirer ; elle regardait fixement le roi sans lui rien dire, et, quand elle eut la force de lui parler, elle n’eut pas celle de lui faire des reproches ; le plaisir de le revoir lui fit oublier pour quelque temps les sujets de plaintes qu’elle croyait avoir. Enfin, ils s’éclaircirent, ils se justifièrent, leur tendresse se réveilla, et tout ce qui les embarrassait, c’était la fée Soussio.

Mais dans ce moment, l’enchanteur, qui aimait le roi, arriva avec une fée fameuse : c’était justement celle qui donna les quatre œufs à Florine. Après les premiers compliments, l’enchanteur et la fée déclarèrent que leur pouvoir étant uni en faveur du roi et de la reine, Soussio ne pouvait rien contre eux, et qu’ainsi leur mariage ne recevrait aucun retardement.

Il est aisé de se figurer la joie de ces deux jeunes amants : dès qu’il fut jour, on la publia dans tout le palais, et chacun était ravi de voir Florine. Ces nouvelles allèrent jusqu’à Truitonne ; elle accourut chez le roi ; quelle surprise d’y trouver sa belle rivale ! Dès qu’elle voulut ouvrir la bouche pour lui dire des injures, l’enchanteur et la fée parurent, qui la métamorphosèrent en truie, afin qu’il lui restât au moins une partie de son nom et de son naturel grondeur : elle s’enfuit toujours grognant jusque dans la basse-cour, où de longs éclats de rire que l’on fit sur elle achevèrent de la désespérer.

Le roi Charmant et la reine Florine, délivrés d’une personne si odieuse, ne pensèrent plus qu’à la fête de leurs noces ; la galanterie et la magnificence y parurent également ; il est aisé de juger de leur félicité, après de si longs malheurs.


moralité


Quand Truitonne aspirait à l’hymen de Charmant,
Et que, sans avoir pu lui plaire,
Elle voulait former ce triste engagement
Que la mort seule peut défaire,
Qu’elle était imprudente, hélas !
Sans doute elle ignorait qu’un pareil mariage
Devient un funeste esclavage,
Si l’amour ne le forme pas.
Je trouve que Charmant fut sage.
À mon sens, il vaut beaucoup mieux
Être Oiseau Bleu, corbeau, devenir hibou même,
Que d’éprouver la peine extrême
D’avoir ce que l’on hait toujours devant les yeux,
En ces sortes d’hymens notre siècle est fertile :
Les hymens seraient plus heureux,
Si l’on trouvait encore quelque enchanteur habile
Qui voulût s’opposer à ces coupables nœuds,
Et ne jamais souffrir que l’hyménée unisse,
Par intérêt ou par caprice,
Deux cœurs infortunés, s’ils ne s’aiment tous deux.