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L’OISEAU BLEU.

point ; car la méchante reine avait fait attacher au cyprès des épées, des couteaux, des rasoirs, des poignards ; et, lorsqu’il vint à tire-d’aile s’abattre dessus, ces armes meurtrières lui coupèrent les pieds ; il tomba sur d’autres, qui lui coupèrent les ailes ; et enfin, tout percé, il se sauva avec mille peines jusqu’à son arbre, laissant une longue trace de sang.

Que n’étiez-vous là, belle princesse, pour soulager cet Oiseau royal ? Mais elle serait morte, si elle l’avait vu dans un état si déplorable ! Il ne voulait prendre aucun soin de sa vie, persuadé que c’était Florine qui lui avait fait jouer ce mauvais tour. « Ah ! barbare, disait-il douloureusement, est-ce ainsi que tu payes la passion la plus pure et la plus tendre qui sera jamais ? Si tu voulais ma mort, que ne me la demandais-tu toi-même ? elle m’aurait été chère de ta main. Je venais te trouver avec tant d’amour et de confiance ! Je souffrais pour toi, et je souffrais sans me plaindre ! Quoi ! tu m’as sacrifié à la plus cruelle des femmes ! Elle était notre ennemie commune ; tu viens de faire ta paix à mes dépens. C’est toi, Florine, c’est toi qui me poignardes ! Tu as emprunté la main de Truitonne, et tu l’as conduite jusque dans mon sein ! » Ces funestes idées l’accablèrent à un tel point qu’il résolut de mourir.


…Il sonna du cor assez longtemps et puis il cria cinq fois… (p. 25)

Mais son ami l’enchanteur, qui avait vu revenir chez lui les grenouilles volantes avec le chariot, sans que le roi parût, se mit si en peine de ce qui pouvait lui être arrivé, qu’il parcourut huit fois toute la terre pour le chercher, sans qu’il lui fût possible de le trouver. Il faisait son neuvième tour, lorsqu’il passa dans le bois où il était, et, suivant les règles qu’il s’était prescrites, il sonna du cor assez longtemps, et puis il cria cinq fois de toute sa force : « Roi Charmant, roi Charmant, où êtes-vous ? » Le roi reconnut la voix de son meilleur ami : « Approchez, lui dit-il, de cet arbre, et voyez le malheureux roi que vous chérissez, noyé dans son sang. » L’enchanteur, tout surpris, regardait de tous côtés sans rien voir : « Je suis Oiseau bleu, dit le roi d’une voix faible et languissante ». À ces mots, l’enchanteur le trouva sans peine dans son petit nid. Un autre que lui aurait été étonné plus qu’il ne le fut ; mais il n’ignorait aucun tour de l’art nécromancien : il ne lui en coûta que quelques paroles pour arrêter le sang qui coulait encore ; et avec des herbes qu’il trouva dans le bois, et sur lesquelles il dit deux mots de grimoire, il guérit le roi aussi parfaitement que s’il n’avait pas été blessé.

Il le pria ensuite de lui apprendre par quelle aventure il était devenu oiseau, et qui l’avait blessé si cruellement. Le roi contenta sa curiosité ; il lui dit que c’était Florine qui avait décelé le mystère amoureux des visites secrètes qu’il lui rendait ; et que, pour faire sa paix avec la reine, elle avait consenti à laisser garnir le cyprès de poignards et de rasoirs, par lesquels il avait été presque haché : il se récria mille fois sur l’infidélité de cette princesse, et dit qu’il s’estimerait heureux d’être mort avant d’avoir connu son méchant cœur. Le magicien se déchaîna contre elle et contre toutes les femmes ; il conseilla au roi de l’oublier. « Quel malheur serait le vôtre, lui dit-il, si vous étiez capable d’aimer plus longtemps cette ingrate ? Après ce qu’elle vient de vous faire, l’on en doit tout craindre. » L’Oiseau bleu n’en put demeurer d’accord, il aimait encore trop chèrement Florine ; et l’enchanteur, qui connut ses sentiments malgré le soin qu’il prenait de les cacher, lui dit d’une manière agréable :

Accablé d’un cruel malheur,
En vain l’on parle et l’on raisonne :
On n’écoute que sa douleur,
Et point les conseils qu’on nous donne.

Il faut laisser faire le temps ;
Chaque chose a son point de vue,
Et quand l’heure n’est pas venue,
On se tourmente vainement.


Le royal Oiseau en convint, et pria son ami de le porter chez lui et de le mettre dans une cage où il fût à couvert de la patte du chat et de toute arme meurtrière. « Mais, lui dit l’enchanteur, resterez-vous encore cinq ans dans un état si déplorable et si peu convenable à vos affaires et à votre dignité ? Car enfin, vous avez des ennemis qui soutiennent que vous êtes mort ; ils veulent envahir votre royaume : je crains bien que vous ne l’ayez perdu avant d’avoir recouvré votre première forme. — Ne pourrais-je pas, répliqua-t-il, aller dans mon palais et gouverner tout comme je faisais ordinairement ?

— Oh ! s’écria son ami, la chose est difficile ! Tel qui veut obéir à un homme ne veut pas obéir à un perroquet ; tel vous craint étant roi, étant environné de grandeur et de faste, qui vous arrachera toutes les plumes, vous voyant un petit oiseau. — Ah ! faiblesse humaine ! brillant extérieur ! s’écria le roi. Encore que tu ne signifies rien pour le mérite et la vertu, tu ne laisses pas d’avoir des endroits déce-