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LA BELLE AUX CHEVEUX D’OR

lui devez être obligé ; il m’a donné de l’eau de beauté ; je ne vieillirai jamais ; je serai toujours belle. »

Les envieux qui écoutaient la reine dirent au roi : « Vous n’êtes point jaloux, et vous avez sujet de l’être. La reine aime si fort Avenant qu’elle en perd le boire et le manger, elle ne fait que parler de lui et des obligations que vous lui avez, comme si tel autre que vous auriez envoyé n’en eût pas fait autant. » Le roi dit : « Vraiment, je m’en avise ; qu’on aille le mettre dans la tour avec les fers aux pieds et aux mains. » L’on prit Avenant ; et pour sa récompense d’avoir si bien servi le roi, on l’enferma dans la tour avec les fers aux pieds et aux mains. Il ne voyait personne que le geôlier, qui lui jetait un morceau de pain noir par un trou, et de l’eau dans une écuelle de terre ; pourtant son petit chien Cabriolle ne le quittait point, il le consolait, et venait lui dire toutes les nouvelles.

Quand la Belle aux cheveux d’or sut sa disgrâce, elle se jeta aux pieds du roi, et, tout en pleurs, elle le pria de faire sortir Avenant de prison. Mais plus elle le priait, plus il se fâchait, songeant : « C’est qu’elle l’aime », et il n’en voulut rien faire ; elle n’en parla plus : elle était bien triste.

Le roi s’avisa qu’elle ne le trouvait peut-être pas assez beau ; il eut envie de se frotter le visage avec de l’eau de beauté, afin que la reine l’aimât plus qu’elle ne faisait. Cette eau était dans la fiole sur le bord de la cheminée de la chambre de la reine : elle l’avait mise là pour la regarder plus souvent, mais une de ses femmes de chambre, voulant tuer une araignée avec un balai, jeta par malheur la fiole par terre, qui se cassa, et toute l’eau fut perdue. Elle balaya vitement, et ne sachant que faire, elle se souvint qu’elle avait vu dans le cabinet du roi une fiole toute semblable, pleine d’eau claire comme était l’eau de beauté ; elle la prit adroitement sans rien dire, et la porta sur la cheminée de la reine.

L’eau qui était dans le cabinet du roi servait à faire mourir les princes et les grands seigneurs quand ils étaient criminels ; au lieu de leur couper la tête ou de les pendre, on leur frottait le visage de cette eau : ils s’endormaient et ne se réveillaient plus. Un soir donc, le roi prit la fiole et se frotta bien le visage ; puis il s’endormit et mourut. Le petit chien Cabriolle l’apprit des premiers, et ne manqua pas de l’aller dire à Avenant, qui lui dit d’aller trouver la Belle aux cheveux d’or, et de la faire souvenir du pauvre prisonnier.

Cabriolle se glissa doucement dans la presse, car il y avait grand bruit à la cour pour la mort du roi. Il dit à la reine : « Madame, n’oubliez pas le pauvre Avenant. » Elle se souvint aussitôt des peines qu’il avait souffertes à cause d’elle et de sa grande fidélité : elle sortit sans parler à personne, et fut droit à la tour, où elle ôta elle-même les fers des pieds et des mains d’Avenant ; et, lui mettant une couronne d’or sur la tête et le manteau royal sur les épaules, elle lui dit : « Venez, aimable Avenant, je vous fais roi et vous prends pour mon époux. » Il se jeta à ses pieds et la remercia. Chacun fut ravi de l’avoir pour maître ; il se fit la plus belle noce du monde, et la Belle aux cheveux d’or vécut longtemps avec le bel Avenant, tous deux heureux et satisfaits.


MORALITÉ.


Si par hasard un malheureux
Te demande ton assistance,
Ne lui refuse point un secours généreux :
Un bienfait tôt ou tard reçoit sa récompense.
Quand Avenant, avec tant de bonté,
Servait carpe et corbeau ; quand jusqu’au hibou même,
Sans être rebuté de sa laideur extrême,
Il conservait la liberté ;
Aurait-on jamais pu le croire,
Que ces animaux, quelque jour,
Le conduiraient au comble de la gloire,
Lorsqu’il voudrait du roi servir le tendre amour ?
Malgré tous les attraits d’une beauté charmante,
Qui commençait pour lui de sentir des désirs,
Il conserve à son maître, étouffant ses soupirs,
Une fidélité constante.
Toutefois sans raison il se voit accusé :
Mais quand à son bonheur il paraît plus d’obstacle,
Le ciel lui devait un miracle
Qu’à la vertu jamais le ciel n’a refusé.