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LA BELLE AUX CHEVEUX D’OR

sont faits que pour s’entre-tourmenter, ou pour persécuter de pauvres animaux qui ne leur font ni tort ni dommage ; » il tira son couteau et coupa les cordelettes. Le hibou prit l’essor ; mais revenant à tire-d’aile : « Avenant, dit-il, il n’est pas nécessaire que je vous fasse une longue harangue pour vous faire comprendre l’obligation que je vous ai ; elle parle assez d’elle-même : les chasseurs allaient venir, j’étais pris, j’étais mort sans votre secours ; j’ai le cœur reconnaissant, je vous le revaudrai. »

Voilà les trois plus considérables aventures qui arrivèrent à Avenant dans son voyage : il était si pressé d’arriver, qu’il ne tarda pas à se rendre au palais de la Belle aux cheveux d’or. Tout y était admirable ; l’on y voyait les diamants entassés comme des pierres, les beaux habits, le bonbon, l’argent, c’étaient des choses merveilleuses ; et il pensait en lui-même que si elle quittait tout cela pour venir chez le roi son maître, il faudrait qu’il jouât bien de bonheur. Il prit un habit de brocart, des plumes incarnates et blanches ; il se peigna, se poudra, se lava le visage ; il mit une riche écharpe toute brodée à son cou, avec un petit panier, et dedans un beau petit chien, qu’il avait acheté en passant à Bologne. Avenant était si bien fait, si aimable, il faisait toutes choses avec tant de grâce, que lorsqu’il se présenta à la porte du palais, tous les gardes lui firent une grande révérence ; et l’on courut dire à la Belle aux cheveux d’or qu’Avenant, ambassadeur du roi son plus proche voisin, demandait à la voir.

Sur ce nom d’Avenant, la princesse dit : « Cela me porte bonne signification ; je gagerais qu’il est joli, et qu’il plaît à tout le monde. — Vraiment oui, madame, lui dirent toutes ses filles d’honneur, nous l’avons vu du grenier où nous accommodions votre filasse ; et tant qu’il est demeuré sous les fenêtres nous n’avons pu rien faire. — Voilà qui est beau, répliqua la Belle aux cheveux d’or, de vous amuser à regarder les garçons ! çà que l’on me donne ma grande robe de satin bleu brodée, et que l’on éparpille bien mes blonds cheveux ; que l’on me fasse des guirlandes de fleurs nouvelles, que l’on me donne mes souliers hauts et mon éventail ; que l’on balaye ma chambre et mon trône ; car je veux qu’il dise partout que je suis vraiment la Belle aux cheveux d’or. »

Voilà toutes les femmes qui s’empressaient de la parer comme une reine : elles étaient si hâtées, qu’elles s’entrecognaient et n’avançaient guère. Enfin la princesse passa dans sa galerie aux grands miroirs, pour voir si rien ne lui manquait ; et puis elle monta sur son trône d’or, d’ivoire, et d’ébène, qui sentait comme baume ! et elle commanda à ses filles de prendre des instruments et de chanter tout doucement pour n’étourdir personne.

L’on conduisit Avenant dans la salle d’audience. Il demeura si transporté d’admiration, qu’il a dit depuis bien des fois qu’il ne pouvait presque parler ; néanmoins il prit courage et fit sa harangue à merveille ; il pria la princesse qu’il n’eût pas le déplaisir de s’en retourner sans elle. « Gentil Avenant, lui dit-elle, toutes les raisons que vous venez de me conter sont fort bonnes, et je vous assure que je serais bien aise de vous favoriser plus qu’un autre : mais il faut que vous sachiez qu’il y a un mois je fus me promener sur la rivière avec toutes mes dames, et comme l’on me servit ma collation, en ôtant mon gant je tirai de mon doigt une bague qui tomba par malheur dans la rivière : je la chérissais plus que mon royaume ; je vous laisse juger de quelle affliction cette perte fut suivie ; j’ai fait serment de n’écouter jamais aucune proposition de mariage, que l’ambassadeur qui me proposera un époux ne me rapporte ma bague. Voyez à présent ce que vous avez à faire là-dessus car quand vous me parleriez quinze jours et quinze nuits, vous ne me persuaderiez pas de changer de sentiment. »

Avenant demeura bien étonné de cette réponse, il lui fit une profonde révérence et la pria de recevoir le petit chien, le panier et l’écharpe ; mais elle lui répliqua qu’elle ne voulait point de présents, et qu’il songeât à ce qu’elle venait de lui dire.

Quand il fut retourné chez lui, il se coucha sans souper. Son petit chien, qui s’appelait Cabriole, ne voulut pas souper non plus : il vint se mettre auprès de lui. Tant que la nuit fut longue, Avenant ne cessa point de soupirer : « Où puis-je prendre une bague tombée depuis un mois dans une grande rivière ? disait-il ; c’est folie de l’entreprendre. La princesse ne m’a dit cela que pour me mettre dans l’impossibilité de lui obéir ; » il soupirait et s’affligeait très fort. Cabriole, qui l’écoutait, lui dit : « Mon cher maître, je vous prie, ne désespérez point de votre bonne fortune : vous êtes trop aimable pour n’être pas heureux. Allons, dès qu’il fera jour, au bord de la rivière. » Avenant lui donna deux petits coups de la main et ne répondit rien ; mais, tout accablé de tristesse, il s’endormit.

Cabriole, voyant le jour, cabriola tant qu’il l’éveilla, et lui dit : « Mon maître, habillez-vous, et sortons. » Avenant le voulut bien ; il se lève, s’habille et descend dans le jardin, et du jardin il va insensiblement au bord de la rivière, où il se promenait les bras croisés l’un sur l’autre, ne pensant qu’à son départ, quand tout d’un coup il entendit qu’on l’appelait : « Avenant, Avenant ! » Il regarde de tous côtés et ne voit personne ; il crut rêver. Il continue sa promenade ; on le rappelle : « Avenant, Avenant ! — Qui m’appelle ? » dit-il. Cabriole, qui était fort petit, et qui regardait de près l’eau, lui répliqua : « Ne me croyez jamais, si ce n’est une carpe dorée que j’aperçois. » Aussitôt la grosse carpe paraît, et lui dit : « Vous m’avez sauvé la vie dans le pré des alisiers, où je serais restée sans vous ; je vous promis de vous le revaloir ; tenez, cher Avenant, voici la bague de la Belle aux cheveux d’or. » Il se baissa et la prit dans la gueule de ma commère la carpe, qu’il remercia mille fois.