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LES ECRIVAINS

que dans une république « les lois sont éludées plus dangereusement qu’elles ne sont violées par un prince qui, étant toujours le plus grand citoyen de l’État, a le plus d’intérêt à sa conservation ». Mais d’ailleurs, quel éloge il fait de la république, quand il dit que la vertu en est le ressort, au lieu que la monarchie est fondée sur l’honneur, ou qu’admirant les élections populaires, il écrit « Le peuple est admirable pour choisir ceux à qui il doit confier quelque partie de son autorité » !

C’est après avoir lu Montesquieu que des Français s’habituent à considérer cette république, dont ils ne veulent pas en France, comme une forme de gouvernement théoriquement intéressante et noble.

Ce théoricien de la monarchie se trouva ainsi avoir ôté à la monarchie une partie de son prestige, et, par ses vues sur la séparation des trois pouvoirs, il toucha à l’essence même de la royauté, qui prétendait, par droit divin, concentrer en elle tous les pouvoirs.

Voilà en quoi Montesquieu, si lu, si admiré, a contribué à l’éclosion des idées républicaines, à la formation de l’état d’esprit républicain[1].

Quant à Voltaire, il n’est certes pas républicain ; il n’admet même pas l’idée de Montesquieu, que la république est fondée sur la vertu, et il écrit en 1732 : « Une république n’est point fondée sur la vertu : elle l’est sur l’ambition des autres ; sur l’orgueil, qui réprime l’orgueil ; sur le désir de dominer, qui ne souffre pas qu’un autre domine. De là se forment des lois qui conservent l’égalité autant qu’il est possible ; c’est une société où les convives, d’un appétit égal, mangent à la même table, jusqu’à ce qu’il vienne un homme vorace et vigoureux, qui prenne tout pour lui et leur laisse les miettes[2].» Mais, avec son ouverture d’esprit ordinaire, il examine toutes les faces de la question, et il a des remarques bien flatteuses pour la république, en cette même année 1752 : « Un républicain, dit-il, est toujours plus attaché à sa patrie qu’un sujet à la sienne, par la raison qu’on aime mieux son bien que celui de son maître[3].» Dans l’article « Démocratie » du Dictionnaire philosophique, il pèse le pour et le contre (et pour lui démocratie et république semblent synonymes), mais fait plutôt l’éloge de la république, en laquelle il voit presque « le gouvernement le plus naturel ». Conclusion : « On demande tous les jours si un gouvernement républicain est préférable à celui d’un roi. La dispute finit toujours par convenir qu’il est fort difficile de gouverner les hommes. » Ailleurs, il dit qu’il « a dans la tête que la guerre offensive a fait les premiers rois, et que la guerre défensive a fait les premières républiques[4]». Et en effet, c’est bien la guerre défensive qui fera la république de 1792. Enfin,

  1. Pendant la Révolution, Montesquieu fut loué parfois comme précurseur de la république. Voir, dans la Chronique de Paris des 4, 8 et 9 mai 1793, une série d’articles intitulés Montesquieu républicain.
  2. Œuvres, éd. Garnier, t. XXIII. p. 534. Cf. t. XIX. p. 387.
  3. Ibid., t. XXIII, p. 527
  4. Ibid., t. XXVII, p. 334