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avait déjà dit : « Celui qui m’aime sera aimé par mon Père, et je l’aimerai, et je me montrerai à lui [1] ». Déjà, en effet, Jésus-Christ était ressuscité, déjà il s’était montré dans sa chair à ses disciples, déjà il était assis à la droite du Père, quand l’apôtre Jean, dont nous expliquons l’Évangile, disait dans une de ses épîtres : « Mes bien-aimés, maintenant nous sommes les enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’est point encore apparu ; nous savons que, quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est [2] ». Cette vision n’est pas pour cette vie, mais pour la vie future ; elle est, non pas du temps, mais de l’éternité. « C’est », dit celui qui est la vie, « c’est vie éternelle, de vous connaître, vous, le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ que vous avez envoyé [3] ». Au sujet de cette vision et de cette connaissance, l’Apôtre nous dit : « Nous ne voyons rien maintenant que comme dans un miroir et sous des images obscures ; mais alors nous verrons face à face. Maintenant je ne le connais qu’imparfaitement, mais alors je le connaîtrai comme je suis connu de lui [4] ». Ce fruit de tout son travail, l’Église l’enfante aujourd’hui par ses désirs ; alors elle le produira en le voyant. Maintenant elle l’enfante en gémissant, alors elle le produira en se réjouissant ; maintenant elle l’enfante en priant, alors elle le produira en louant. Et c’est un garçon ; car c’est à ce fruit de là contemplation que se rapportent toutes les œuvres de l’action. Seul il est libre ; car il est désiré pour lui-même et il ne se rapporte à rien autre chose. C’est lui que sert toute action, c’est à lui que se rapporte tout ce qui se fait de bien, parce que le bien se fait pour lui ; on n’entre en possession de lui, et on ne le possède que pour lui-même, et ce n’est point pour autre chose. Il est la fin qui nous doit suffire : il est donc éternel ; car la seule fin qui puisse nous suffire est celle qui n’a pas de fin. C’est ce qui était inspiré à Philippe, lorsqu’il disait : « Montrez-nous le Père, et cela nous suffit ». En promettant de le lui montrer, le Fils lui fait la promesse de se montrer lui-même : « Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi [5] ? » C’est donc avec raison que nous entendons ces paroles : « Personne ne vous enlèvera votre joie », la joie de l’objet qui nous suffit.

6. Parce que nous venons de dire, il nous est, ce me semble, possible de mieux saisir ces paroles : « Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus, et encore un peu de temps et vous me verrez ». Ce peu de temps dont parle Notre-Seigneur, c’est tout l’espace qui renferme le temps présent. C’est pourquoi notre Évangéliste dit encore dans une de ses épîtres : « C’est la dernière heure[6] ». Et ce que Notre-Seigneur ajoute : « Parce que je vais à mon Père », doit se rapporter à la première phrase : « Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus » ; et non pas à la seconde, où il dit : « et encore un peu de temps et vous me verrez ». Dès lors qu’il devait aller au Père, ils ne devaient plus le voir. Il ne dit donc pas qu’il devait mourir, et que jusqu’à sa résurrection il serait soustrait à leur vue ; mais il dit qu’il devait aller au Père ; ce qu’il fit après sa résurrection, lorsqu’après avoir conversé avec eux pendant quarante jours, il monta au ciel [7]. Il dit donc « Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus ». Et il le dit à ceux qui le voyaient corporellement, parce qu’il devait aller au Père, et qu’ils ne le verraient plus comme homme mortel, et tel qu’il était lorsqu’il leur disait ces choses. Quant à ce qu’il ajoute : « Et encore un peu de temps, et vous me verrez », c’est à toute l’Église qu’il le promet ; comme c’est à toute l’Église qu’il a fait cette autre promesse : « Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles [8] ». Le Seigneur ne retardera pas l’accomplissement de sa promesse : Encore un peu de temps, et nous le verrons, mais dans un état où nous n’aurons pas à le prier ni à l’interroger, parce qu’il ne nous restera rien à désirer ni rien de caché à apprendre. Ce peu de temps nous paraît long, parce qu’il n’est pas encore passé ; mais quand il sera fini, nous comprendrons combien il était court. Que notre joie ne ressemble donc pas à celle du monde dont il est dit : « Mais le monde se réjouira » ; et néanmoins, pendant l’enfantement du désir de l’éternité, que notre tristesse ne soit pas sans joie ; car, dit l’Apôtre : « Joyeux en espérance, patients en tribulations[9] ». En effet, la femme qui enfante, et à laquelle nous avons été comparés,

  1. Jn. 14, 21
  2. 1 Jn. 3, 2
  3. Jn. 17, 3
  4. 1Co. 13, 12-13
  5. Jn. 14, 8-10
  6. Jn. 2, 18
  7. Act. 1, 3, 9
  8. Mat. 28, 20
  9. Rom. 12,12