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Moïse lui-même a cru à Dieu, mais, ne l’oublions pas, le Seigneur faisait entendre sa voix au milieu des éclairs, des tonnerres, et des éclats de la trompette : il n’en eût pas fallu davantage pour amener à la foi même des infidèles. En vous parlant ainsi, je n’ai nullement l’intention de rabaisser ces grands et saints personnages ; je ne veux qu’exalter le mérite du larron, qui, par un seul acte de foi, est devenu digne d’entrer au Paradis. Quand le larron a vu le Dieu Sauveur, il s’en fallait de beaucoup que Jésus fût assis sur un trône royal ou adoré dans un temple : il ne parlait point du haut du ciel, il ne faisait exécuter aucun ordre par les anges ; non, ce n’est point de pareils prodiges qui se sont offerts aux regards du larron et l’ont aidé à croire à la réalité des choses. Le larron a vu le Christ partager le supplice de deux brigands ; voilà tout. Il l’a vu dans les tortures, et il l’a adoré comme s’il eût été au sein de la gloire. Il l’a vu attaché à la croix, et il l’a prié comme s’il eût été assis dans le ciel. Il l’a vu condamné et élevé en croix, et il l’a invoqué comme son roi. Il l’a vu, il a cru en lui, au moment où la, foi des Apôtres était ébranlée aussi a-t-il mérité que le Paradis lui fût promis. Pourtant, quand il a cru, qu’a-t-il dit ? « Seigneur, souvenez-vous de moi lorsque vous serez arrivé dans votre royaume[1] ». O larron, à qui dis-tu : Votre royaume ? Hé quoi ! tu vois un crucifié, et tu le proclames roi ? Tu as sous les ; yeux le spectacle d’un homme attaché à une croix, et tes pensées se portent vers le royaume des cieux ? Est-ce que, sans faire trêve à. ton métier de brigand, tu as pris le temps de lire les Écritures ? Est-ce que, tout en commettant des homicides, tu as eu le temps d’écouter les Prophètes ? Tous les jours, tu étais occupé à verser le sang de tes semblables, et tu as eu le loisir de prêter l’oreille à la parole de Dieu ? Qui est-ce qui t’a appris à devenir ainsi philosophe ? C’est la croix, devenue l’instrument de ton supplice, qui te fait reconnaître et proclamer le triomphe du Christ. Bien qu’ils sachent la loi et qu’ils aient lu les Prophètes, les Juifs le crucifient ; et toi, qui ne connais rien ni à la loi ni aux Prophètes, tu vois le Christ condamné avec toi et tu le proclames Dieu ! Tu le vois crucifié, et tu l’adores ! Qui est-ce qui t’a appris les oracles relatifs à sa personne, pour que tu annonces hautement l’entrée prochaine, dans son royaume, de celui qui partage sous tes yeux tes douleurs ? – La loi, me répond-il, ne m’a rien appris, les Prophètes ne m’ont rien annoncé ; mais le Seigneur, qui était devant moi, m’a regardé, et son regard a percé jusqu’au fond de mon cœur. Oui, sans doute, je l’ai vu crucifié, mais, aussi, j’ai senti la terre trembler ; j’ai compris que les éléments se révoltaient contre le parricide des Juifs ; j’ai compris tout cela, et j’ai reconnu que le Christ était un roi descendu des cieux. En me considérant moi-même, en reportant mes souvenirs sur les actions de ma vie, j’ai bien vu toute la justice de la sentence de mort prononcée contre moi et exécutée alors sur la croix ; mais quand j’ai entendu mon compagnon en scélératesse s’écrier : « Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix et sauve-nous avec toi[2] » ; quand j’ai entendu les blasphèmes de mon voisin, je me suis dit : Voilà le diable ! À l’heure de la tentation, il avait dit au Sauveur : « Du haut du pinacle du temple, jette-toi en bas[3] ». C’était donc encore lui qui s’écriait : « Descends du gibet de la croix ! » Je me suis alors opposé à lui autant que possible. Mais il ne savait pas ce que je sais ; sans cela, il aurait gardé le silence ce qu’il disait, le diable le poussait à le dire. J’ignorais moi-même qui était le Christ ; jamais parole divine ne m’avait instruit à cet égard ; je n’avais pas appris à le connaître pour être à même de le défendre ; mais le Seigneur se trouvait entre nous deux ; car « il a été compté parmi les scélérats[4] ». Comme un juste juge, il nous a entendus et jugés : du haut de sa croix, comme du haut d’un tribunal, il a rendu une sentence en vertu de laquelle son insulteur a été condamné et son adorateur absous.

8. Que les blasphémateurs de Jésus tremblent donc, et que ceux qui croient en lui se réjouissent ! Car, désormais, le Christ viendra dans sa gloire. Aussi, mes frères, croyons, nous aussi, en toute humilité de cœur, qu’il a souffert, qu’il a été crucifié et enseveli, et qu’il est ressuscité d’entre les morts, le troisième jour. Confessons notre foi, afin que nous méritions d’entrer dans le Paradis de Notre-Seigneur et Sauveur avec le larron fidèle.

  1. Luc. 23,
  2. Mat. 27, 40
  3. Luc. 4, 9
  4. Id. 22, 37