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ne se révolterait à l’entendre ? « Il leur avait donné ce signe : Celui que j’embrasserai, c’est lui, arrêtez-le ». O signalement sacrilège ! O criminelle convention ! O contrat digne de tous les châtiments ! En vertu de cette entente, la guerre commence par un baiser ; le symbole de la paix sert à briser les liens sacrés de la concorde, et le profane Judas a voulu commencer les hostilités par ce que les nations emploient d’ordinaire pour les finir ! « Il leur avait donné ce signe : Celui que j’embrasserai, c’est lui, arrêtez-le ». Judas, tu as donné ce signe ; ton mauvais génie n’a rien trouvé de mieux que cette convention d’après laquelle on enlèverait ton Maître pour le faire cruellement souffrir, au moment même où tu ferais la paix avec lui ! A cause de toi, beaucoup se sentiront glacés d’épouvante ; car ils craindront de n’avoir qu’une paix simulée avec leur prochain. Ce cou scélérat, que tu étends aujourd’hui pour embrasser le Christ, tu le relèveras demain, tu l’allongeras, pour te pendre. Tu as appris, pour ton malheur, à compter de l’argent ; car bientôt tu supputeras le poids de ton propre corps. Sur ces entrefaites, on saisit le Sauveur, pour le conduire chez le prince des prêtres. Tandis que les autres disciples s’esquivent honteusement, Pierre, le faiseur de belles promesses, s’écarte d’abord assez loin ; puis il arrive lui-même près de la maison du prince, et, dans l’attente du dénouement de l’affaire, il se met à regarder dans le porche. Comme il faut que s’accomplisse incessamment la prédiction relative à l’âtre de feu du prétoire, il s’approche pour s’y chauffer. Saisi de crainte, il renie le Christ pour qui il avait promis même de mourir ; il gît, brisé dans la torpeur de l’oubli comme dans un lit de douleur ; une vieille femme décrépite, comme une fièvre violente, a brisé ses forces ; un sommeil léthargique s’est emparé de lui ; mais voilà que tout à coup la voix matinale du crieur vient frapper ses oreilles.

4. Enfin il s’éveille, il entend le chant du coq, il se voit grièvement blessé. Pareilles à des messagers, ses larmes portent à son médecin l’expression de sa douleur, et aussitôt il reçoit le remède divin. C’est à lui que s’applique cette parole de l’Écriture : « Mes compagnons et mes proches se sont approchés de moi, et mes amis se sont tenus au loin[1] » ; et cette autre : « Les blessures d’un ami sont salutaires, les baisers d’un ennemi sont envenimés[2] ». De même que l’apôtre Judas est devenu traître, de même est-il devenu ennemi, d’ami qu’il était ; car il a été écrit de lui : « L’homme de ma paix, de ma confiance, qui mangeait à ma table, a levé le pied contre moi[3] ». Et encore : « Les ennemis de l’homme, ce seront ses serviteurs[4] ». C’est pourquoi, mes frères, nous devons tous éviter avec soin les discours trompeurs, afin de partager le bonheur éternel avec les saints. Conservons la véritable paix et la croyance à l’unité perpétuelle de la Trinité ; alors nous mériterons d’être admis dans le royaume des cieux et de rendre grâces à Notre-Seigneur Jésus-Christ, pendant les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

CINQUANTE-DEUXIÈME SERMON.
SUR LA PASSION DU SAUVEUR ET LES DEUX LARRONS.

ANALYSE. —1. Paroles du larron au larron qui souffrait avec lui. —2. Sa prière au Christ. —3. Réponse du Christ. —4. Comment le larron a été baptisé.

1. Le Seigneur Jésus était attaché à la croix, les Juifs blasphémaient, les princes ricanaient, et bien que le sang des victimes tombées sous ses coups ne fût pas encore desséché,

  1. Psa. 37, 12
  2. Pro. 27, 6
  3. Psa. 40, 10 ; Jn. 13, 14
  4. Mic. 7, 6 ; Mat. 10, 38