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ils auraient eu la certitude d’échapper, sains et saufs, aux coups de la colère divine. Que les hommes craignent donc qu’il en soit d’eux au dernier jour, comme il en a été des contemporains de Noé. Pour nous, mes frères, agissons de telle sorte, que nous quittions le chemin de l’iniquité et que nous amendions nos mœurs : profitons du temps qui nous est accordé ; c’est ainsi que le dernier jour nous trouvera prêts. Celui qui nous annonce son avènement futur n’a jamais proféré le mensonge ; ne reste pas dans le doute à cet égard : son avènement aura lieu. Aux jours de Noé, voici ce qui se passait : « Ils mangeaient et ils buvaient : les hommes épousaient des femmes, et les femmes des maris ; ils achetaient et ils vendaient, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche ; et le déluge vint et perdit tous » ceux dont les espérances se bornaient à ce bas-monde, et qui désiraient y vivre tranquilles. Mais ce n’était pas dans le monde que se trouvait la sécurité ; aussi ceux-là seuls furent-ils sauvés, qui se trouvèrent dans l’arche.

4. Mais beaucoup se disent : On nous ordonne de nous préparer au dernier jour, de ne pas nous laisser surprendre par lui, comme ont été surpris hors de l’arche ceux que le déluge a jadis engloutis. La trompette de l’Évangile nous glace d’épouvante, le Verbe divin nous fait trembler. Que faire ? Je ne pourrai donc point prendre femme, dit un jeune homme ? Il ne m’est donc pas permis de boire et de manger, ajoute un adolescent ? Faudra-t-il toujours jeûner ? Ainsi raisonnent beaucoup de gens. D’autres, qui voulaient peut-être faire des acquisitions, se diront : Il ne faut rien acheter, pour ne pas être du nombre de ceux qui ont péri dans les eaux du déluge. Que faire donc, mes frères ? Gémir comme les Apôtres ont gémi sur le sort fait au genre humain, quand le Sauveur a dit en leur présence : « Si tu veux être parfait, vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ; puis, viens et suis-moi ? »[1] Celui, à qui s’adressaient ces paroles, en devint chagrin et s’éloigna : quand il demandait au Christ comment il pourrait acquérir la vie éternelle, il ni donnait le nom de bon Maître ; mais Jésus ne fut à ses yeux un bon Maître que jusqu’au moment où, répondant à sa question, il lui dit ce que dessus. « Le Seigneur parla, et le riche devint triste[2]». Et comme il s’en allait, le chagrin dans le cœur, le Christ lui dit : « Qu’il est difficile à un riche d’entrer dans le royaume des cieux[3]» Comme si le royaume des cieux était fermé pour les riches. Que faire ? Il est fermé. Mais Jésus a dit : Frappez, et l’on vous ouvrira. Ah ! plaise à Dieu que ceux qui iront au feu éternel soient en aussi petit nombre que les riches ! Mais il est sûr que beaucoup d’entre les riches entreront dans le royaume des cieux, et que beaucoup d’entre les pauvres seront précipités en enfer, non pour avoir été réellement riches, mais pour avoir brûlé du désir de l’être.

5. Les Apôtres étaient donc contristés ; le Sauveur leur dit : « Ce qui est difficile pour des hommes est facile pour Dieu[4] ». La difficulté d’aller au ciel vous paraît insurmontable, parce que le Seigneur a parlé d’un chameau[5]. Si elle le veut, cette énorme bête qu’on appelle chameau entre ici dans le trou d’une aiguille. Il a daigné nous parler ainsi, et un riche peut entrer dans le royaume des cieux, parce qu’à cause de lui un chameau a passé par le trou d’une aiguille. Qu’est-ce à dire ! Voyons si nous pourrons le comprendre. Ce n’est évidemment pas sans motif que Jean. Baptiste, précurseur du Christ, portait une tunique faite de poils de chameau ; il semblait tenir son vêtement de ce Juge à venir auquel il rendait témoignage. Puisque le nom du chameau a été prononcé, voyons-y l’emblème de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Regardons cet animal si grand et si docile tout à la fois, que personne ne pourrait charger, s’il ne s’abaissait lui-même jusqu’à terre : c’est ainsi qu’a fait le Christ : « Il s’est humilié lui-même jusqu’à la mort[6]», « afin de détruire celui qui avait l’empire de la mort, c’est-à-dire le démon[7]». Examinons encore le trou de l’aiguille, où ce Maître du monde a passé. L’aiguille qui perce l’étoffe symbolise les souffrances qu’il a endurées, et le trou de l’aiguille représente ses tourments. Par conséquent, un chameau a passé par le trou d’une aiguille ; d’où il suit que les riches ne doivent nullement désespérer de leur avenir, et qu’ils peuvent, sûrement, entrer dans le royaume des cieux.

  1. Mat. 19, 21.
  2. Mat. 19, 22
  3. Id.23
  4. Id.26
  5. Id.24.
  6. Phi. 2, 8.
  7. Heb. 2, 14.