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choses saintes, il peut se faire que leur demande ne soit pas exaucée dans le temps présent : elle le sera évidemment dans le temps avenir. En effet, l’Église n’adresse-t-elle pas tous les jours à Dieu cette prière : « Que votre règne arrive ?[1] » Et cette prière ne s’accomplit pas tout de suite, mais on compte sûrement en voir l’effet après le jugement universel.

5. Lorsque, sans le savoir, les saints demandent des choses nuisibles à leur âme, il arrive, par un secret jugement de Dieu, qu’ils sont exaucés, non pas suivant leurs désirs, mais dans l’ordre de leur salut. Mieux vaut, à beaucoup près, être exaucé en vue de notre salut qu’en raison de notre volonté. Pour vous donner de ma pensée une idée plus sensible, prenons, comme exemple, deux personnages, l’un bon et l’autre méchant, dont le premier a prié sans rien obtenir, dont le second a demandé et obtenu la réalisation de ses vœux. N’allez pas dire, dans le secret de votre cœur Celui qui a été exaucé était peut-être juste devant Dieu ; celui qui a inutilement sollicité le Seigneur était peut-être un méchant. Nous supposons un méchant, dont les mauvaises dispositions ne puissent laisser place à aucun doute, et un juste dont la sainteté soit évidente pour tous : je veux parler de l’apôtre Paul et du diable. Y a-t-il un seul homme pour nier que le diable soit le père de la méchanceté, surtout quand le bienheureux Job à dit de lui : « Il envisage tout ce qu’il y a de superbe, il est le roi de tous les enfants d’orgueil ?[2] » Peut-on élever le moindre doute sur la sainteté de l’apôtre Paul, pour le temps qui a suivi sa conversion, surtout quand son juge lui-même lui a rendu ce témoignage flatteur : « Cet homme est pour moi un vase d’élection qui portera mon nom devant les gentils, devant les rois et devant les enfants d’Israël ?[3] » Cependant le diable a fait à Dieu une demande, et il a réussi ; l’Apôtre en a fait aussi une, et il a échoué. Le diable a demandé le pouvoir de porter atteinte à la fortune de Job, et Dieu lui a répondu : « Tout ce qu’il possède est en ton pouvoir[4] ». Paul a demandé que l’aiguillon de la chair lui fût enlevée[5], et il n’a rien obtenu. Lequel des deux, du diable ou de l’Apôtre, a été le mieux exaucé ? Le diable a vu sa demande favorablement accueillie relativement à ses désirs, mais nullement par rapport au salut ; car il n’est devenu que plus coupable à porter dommage au saint Iduméen : mais si l’Apôtre a vu sa prière repoussée quant à ses désirs, elle lui a été favorable dans l’ordre du salut ; car il n’était pas utile pour lui d’être délivré de l’aiguillon de la chair, puisque cet aiguillon lui avait été donné comme sauvegarde de son humilité. Il l’a dit lui-même en ces termes : « Aussi, de peur que la grandeur de mes révélations ne me donnât de l’orgueil, un aiguillon a été mis dans ma chair, instrument de Satan, pour me donner comme des soufflets. C’est pourquoi j’ai prié trois fois le Seigneur de l’éloigner de moi ; il m’a répondu : Ma grâce te suffit, car la force se perfectionne dans la faiblesse[6] ». Celui donc qui demande avec une ferme confiance et persévéramment ce qui peut contribuer au salut de son âme, est certainement exaucé soit en ce monde-ci, soit en l’autre. C’est pourquoi il est dit avec à propos : « En mon nom[7] ». Son nom est Jésus, c’est-à-dire, Sauveur ou salutaire. Celui-là donc demande au nom de Jésus, qui sollicite le salut de son âme.

6. « Jusqu’ici, vous n’avez rien demandé en mon nom ». Est-ce qu’auparavant les Apôtres n’avaient rien demandé ? N’avaient-ils pas dit : « Seigneur, dites-nous quand arriveront ces choses, et quel sera le signe de votre arrivée[8] ? » Il est sûr qu’ils avaient, plusieurs fois déjà, adressé de pareilles questions à leur Maître. On peut entendre de deux manières ces paroles du Sauveur : « Jusqu’ici vous n’avez rien demandé en mon nom ». Premier sens : « Vous n’avez rien demandé », parce que vous ne m’avez pas assez cru égal à mon Père, pour demander en mon nom. Second sens, qui est certain : « Vous n’avez rien demandé », car ce que vous avez demandé n’est rien en comparaison de ce que vous auriez dû solliciter. Avant la passion, l’esprit des Apôtres était encore si faible, qu’ils se bornaient, en effet, à demander avant tout des faveurs terrestres et transitoires. Ainsi en fut-il des fils de Zébédée l’Évangile nous raconte que, à leur instigation, leur mère demanda à Jésus une place à sa droite pour l’un de ses deux enfants, et, pour l’autre, une place à sa gauche[9]. Et comme ce

  1. Mat. 6, 10
  2. Job. XLC, 25
  3. Act 9, 15
  4. Job. 1, 12
  5. 2Co. 12, 7-9
  6. 2Co. 11, 7-9
  7. Jn. 16, 24
  8. Mat. 24, 3
  9. Mat. 20, 20,27