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aujourd’hui qui se comportent de la même manière ! Le Publicain, au contraire, con fessant humblement la multitude et l’énormité de ses péchés, priait en ces termes « O mon Dieu, soyez-moi propice, à moi qui ne suis qu’un pécheur[1] ». L’humilité du Publicain lui mérite d’être purifié, d’être justifié à l’instant où il prononce ces paroles « O mon Dieu, soyez-moi propice ». Ainsi le Pharisien, plein d’orgueil et de superbe, descend du temple chargé du poids de sa propre condamnation ; au lieu que le Publicain, au moment même où il y entrait, avait déjà mérité par son humilité que Dieu abaissât sur lui un regard favorable. Le pécheur humble est accueilli avec miséricorde, tandis que l’innocent orgueilleux est frappé d’anathème. Dieu pardonne gratuitement au premier ses péchés, alors que le second se glorifie pour son malheur d’avoir donné régulièrement la dîme de ses biens. Car le Pharisien disait : « Je vous rends grâces de ce que je ne suis point comme le reste des hommes ». Par ces paroles il se proclamait innocent de tout péché, et en réalité il ployait sous le fardeau de ses crimes passés, auxquels il ajoutait celui d’accuser tous les hommes qui étaient alors sur la terre. O homme, pourquoi te glorifier ainsi, comme si tu avais accompli toi seul ces œuvres de miséricorde ? Comment oses-tu en revendiquer le mérite et t’en attribuer la propriété exclusive, alors que tu ne t’appartiens pas à toi-même, mais à une puissance supérieure ? Oui, tu accomplis ces œuvres, et tu fais bien en les accomplissant, persévère dans cette voie ; mais accomplis-les avec humilité, si tu veux mériter d’en recevoir un jour la récompense.

2. Nous avons entendu, ô mes vénérés frères, quand on nous a lu un certain passage des saintes lettres de l’Évangile ; nous avons entendu l’histoire de cette femme chananéenne qui mérita, par son humilité, de recevoir la faveur signalée qu’elle sollicitait ; nous l’avons vue, cette femme, prosternée la face contre terre, serrant dans ses mains tremblantes les pieds de Jésus et s’écriant : « Seigneur, secourez-moi. Jésus lui répond « II n’est pas bon de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens[2] ». Bien loin de recevoir ce reproche avec aigreur et de dire par exemple : Ne me comparez pas à une chienne ; s’il ne vous plaît pas de m’accorder la faveur que je sollicite, dispensez-vous du moins de m’adresser une injure ; bien loin, dis-je, de s’exprimer ainsi, elle ne répond que ce seul mot inspiré par la plus profonde humilité : « Oui, Seigneur, il est vrai[3] ». Qu’est-ce à dire : Il est vrai ? Ces mots signifient : Oui, Seigneur, ce que vous dites est vrai ; je confesse que je suis une chienne, ou plutôt je reconnais qui je suis et qui vous êtes. Je suis la plus misérable des créatures, et vous êtes, vous, la source même de la miséricorde. Je reconnais que je suis une chienne, puisque je viens de lécher vos pieds après les avoir arrosés de mes larmes ; mais par là même que je vous reconnais pour le Dieu véritable, je ne dois point me retirer sans avoir rien obtenu de vous. Je reconnais pour mes maîtres ceux que vous appelez vos enfants. C’est pourquoi, puisque je ne suis point digne de m’asseoir avec eux à votre table, permettez-moi du moins de recueillir les miettes qui tombent de cette table ; car « les chiens mangent au moins les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres[4] ». Et le Seigneur différait le bienfait qu’il voulait accorder, en sorte que ses disciples lui dirent : « Renvoyez-la, car elle crie derrière nous[5] » ; le Seigneur, dis-je, différait ce bienfait parce qu’il voulait rendre plus éclatantes et nous proposer comme modèle l’humilité et la foi de cette femme qui lui étaient connues depuis longtemps. Il lui répond en ces termes : « O femme, votre foi est grande[6] ». Vous avez été longtemps une chienne, vous êtes maintenant une femme ; vous avez été longtemps une Chananéenne, vous êtes maintenant d’une foi exemplaire. Qu’y a-t-il en cela d’étonnant ? Elle a cru et elle est devenue tout à fait différente de ce qu’elle était. « O femme », lui dit le Sauveur, « votre foi est grande ». Pour cette raison, « qu’il vous soit fait comme vous désirez[7] ». Et sa fille fut guérie à l’heure même. Telle fut, dans une femme chananéenne, la puissance de l’humilité ; tels furent aussi les fruits de justice conférés au Publicain confessant ses péchés ; car « quiconque s’élève sera abaissé, et quiconque s’abaisse sera élevé[8] ». « Dieu, en effet, résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles[9] ».

  1. Luc. 18, 13
  2. Mat. 15, 25-26
  3. Mat. 15, 21
  4. Id
  5. Id. 23
  6. Id. 28
  7. Id
  8. Id. 23, 12
  9. 1Pi. 5, 5