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Nous avons aussi la parole de l’Apôtre déclarant que les Juifs étaient près de Dieu, tandis que les gentils en étaient éloignés. Il s’adresse à ceux-ci en ces termes : « Le Christ est venu vous annoncer la paix, à vous qui étiez loin ; il l’a annoncée aussi à ceux qui étaient près[1] » ; opposant ainsi ceux qui étaient loin, comme le plus jeune des fils, aux Juifs qui ne s’étaient pas en allés dans un pays éloigné paître des pourceaux, qui n’avaient point abandonné le Dieu unique, qui n’avaient point adoré les idoles, qui ne s’étaient point rendus les esclaves des démons. Je ne parle pas de tous les Juifs sans exception, car vous-mêmes en connaissez qui se sont révoltés et perdus entièrement. Mais je parle de ceux qui, par la gravité de leurs mœurs, ont acquis le droit de reprocher à ces séditieux l’indignité de leur conduite ; qui ont observé les prescriptions de la loi et qui, s’ils ne sont pas encore entrés pour prendre leur part du veau gras, peuvent du moins dire en toute vérité : « Je n’ai point transgressé vos préceptes » ; je parle de ceux à qui le Père, quand ils commenceront à entrer, pourra dire : « Pour vous, vous êtes toujours avec moi ». Vous êtes avec moi, en ce sens que vous n’êtes point partis loin de moi, mais vous avez tort néanmoins de rester ici en dehors de ma maison ; je ne veux pas que vous demeuriez étrangers à notre festin. Ne porte pas envie à ton frère plus jeune : « Pour toi, tu es toujours avec moi ». Dieu ne confirme point cette parole prononcée peut-être d’une manière quelque peu téméraire et présomptueuse : « Je n’ai jamais transgressé vos commandements » ; mais il dit seulement : « Tu es toujours avec moi » ; et non pas : Tu n’as jamais transgressé mes commandements. Ce que Dieu dit ici est parfaitement vrai, mais non pas ce dont le fils aîné s’était glorifié témérairement ; car s’il ne s’était pas éloigné du Dieu unique, il est du moins à présumer qu’il n’avait pas laissé de transgresser en quelque chose les commandements de ce même Dieu. Le Père donc dit en toute vérité « Pour toi, tu es toujours avec moi, et toutes les choses qui m’appartiennent sont à toi ». Parce que ces choses t’appartiennent, s’ensuit-il qu’elles n’appartiennent pas aussi à ton frère ? En quel sens sont-elles à toi ? Elles t’appartiennent à titre de biens communs à plusieurs, non pas en ce sens que tu as le droit d’en revendiquer la propriété exclusive. « Toutes les choses qui m’appartiennent sont « à toi », dit-il. Ce qui appartient au Père, il en donne pour ainsi dire la jouissance à son fils. Cela veut-il dire que Dieu soumet à notre puissance le ciel et la terre, ou même les anges et les plus sublimes intelligences ? Non certes, ce n’est pas ainsi que nous devons entendre ces paroles. Bien loin que les anges doivent nous être soumis, le Seigneur nous promet que notre récompense suprême sera de devenir semblables à eux : « Ils seront », dit-il, « comme les anges de Dieu[2] ». Mais, direz-vous, les saints jugeront les anges « Ignorez-vous », dit l’Apôtre, « que nous jugerons les anges[3] ? » Il y a des anges qui sont demeurés saints d’une manière constante, il en est d’autres qui se sont rendus prévaricateurs. Nous deviendrons semblables aux premiers, nous jugerons les derniers. En quel sens donc est-elle vraie cette parole Toutes les choses qui m’appartiennent sont à toi ? Toutes les choses de Dieu nous appartiennent véritablement, mais ne sont pas pour cela soumises à notre puissance. On ne dit pas dans le même sens : mon serviteur, et : mon frère. Toutes les fois que vous employez le mot mien, vous l’employez avec vérité ; et si vous l’employez avec vérité, c’est que l’objet dont il s’agit vous appartient réellement ; mais s’ensuit-il que votre frère vous appartient au même titre que votre esclave ? Quand vous dites : ma maison, mon épouse, mes enfants, mon père, ma mère, le même mot est employé chaque fois dans un sens particulier. Ainsi, il est bien entendu que tout vous appartient, sans préjudice de mes droits. Vous pouvez dire : mon Dieu ; mais le direz-vous dans le même sens que vous dites : mon serviteur ? Vous le dites, au contraire, dans le même sens qu’un serviteur dit : mon seigneur, mon maître. Nous avons donc au-dessus de nous Notre-Seigneur, en qui nous avons le droit de chercher l’objet de notre suprême félicité ; nous avons au-dessous de nous les créatures qui sont soumises à notre domaine. D’où il suit que toutes choses nous appartiennent, si nous-mêmes nous appartenons au Seigneur.

14. « Toutes les choses qui m’appartiennent, dit-il, sont à toi ». Si tu consens à ne pas troubler

  1. Eph. 2, 17
  2. Mat. 22, 30
  3. 1Co. 6, 3