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et mon fardeau est léger[1] ». Il se penche sur son fils qui se tient debout, et en s’inclinant ainsi sur lui il l’empêche de tomber de nouveau. Le fardeau du Christ est tellement léger que non-seulement il ne pèse pas sur celui qui le porte, mais il le soulève au contraire comme un levier puissant. On dit parfois de certains fardeaux qu’ils sont légers en ce sens qu’ils sont d’un poids relativement peu considérable, non pas en ce sens qu’ils ne sont absolument d’aucun poids ; porter un fardeau lourd, porter un fardeau léger, et ne porter aucun fardeau, sont trois choses tout à fait différentes. Celui qui porte un fardeau lourd parait en être accablé, celui qui porte un fardeau léger est moins accablé, mais enfin il est accablé jusqu’à un certain point. On voit au contraire celui qui ne porte aucun fardeau marcher d’un pas agile et dégagé. Il n’en est point ainsi du fardeau du Christ. Dès qu’on commence à le porter, on se sent plus agile et plus fort. Sitôt qu’on le dépose, on se trouve plus accablé. Et que cela ne vous paraisse point impossible, mes frères. Nous allons peut-être trouver dans l’ordre des choses corporelles un exemple qui vous aidera à comprendre et à accepter comme une vérité incontestable ce que j’avance en ce moment. Cet exemple est admirable et paraîtrait absolument chimérique, si le témoignage de nos sens ne nous obligeait à l’admettre comme une réalité tout à fait évidente. Ce sont les oiseaux qui nous l’offrent. Tout oiseau porte les plumes à l’aide desquelles il semble nager dans les airs. Considérez et voyez comment ils replient et resserrent leurs ailes au moment où ils descendent à terre pour y reprendre haleine, et – comment ils les posent en quelque sorte sur leurs flancs. Pensez-vous que ces ailes sont pour eux un poids réel ? Qu’on leur enlève ce fardeau, et on les verra tomber aussitôt. À proportion qu’on rendra ce fardeau plus léger pour eux, on les verra aussi voler avec plus de difficulté. Vous croyez faire acte de bienveillance à leur égard en les déchargeant d’un tel poids ; mais en réalité vous ne sauriez leur accorder une faveur plus grande que de leur épargner un tel allégement ; et si cet allégement est déjà un fait accompli, nourrissez-les afin que leur fardeau croisse de nouveau et qu’ils puissent prendre leur essor au-dessus de la terre. Il souhaitait d’être chargé d’un tel poids, celui qui disait : « Qui me donnera des ailes comme celles de la colombe, et je prendrai mon essor et je me reposerai[2] ». Quand donc le père s’incline sur le cou de son fils, il le soulage au lieu de l’accabler ; le poids d’une partie du corps paternel est pour le fils un honneur et non point un fardeau. Comment en effet un homme serait-il capable de porter un Dieu, s’il n’était porté lui-même par le Dieu qu’il porte ?

7. Le père donne ensuite l’ordre d’apporter à son fils la robe première qu’Adam avait perdue au jour où il commit le péché. Après lui avoir donné le baiser de paix et tous les témoignages d’une affection vraiment paternelle, il ordonne qu’on lui apporte la robe, symbole de l’immortalité promise par le baptême. Il ordonne qu’on mette à son doigt un anneau, comme gage de l’Esprit-Saint, et à ses pieds une chaussure en signe de la préparation de l’Évangile de la paix[3], afin de rendre beaux et magnifiques les pieds de celui qui annonce la bonne nouvelle. Voilà bien ce que Dieu fait par ses serviteurs, c’est-à-dire par les ministres de son Église. Est-ce que la robe, l’anneau, la chaussure donnés par ces ministres leur appartiennent en propre ? Ils doivent leur ministère et ils donnent tous les efforts que le zèle peut inspirer ; mais ces choses sont données par Celui dans le trésor de qui elles étaient renfermées et d’où elles ont été tirées. Il donna aussi l’ordre de tuer le veau gras, c’est-à-dire il ordonna que son fils fût admis à la table où le Christ mis à mort se donne en nourriture. Pour tout homme, en effet, qui revient de loin et qui se réfugie dans le sein de l’Église, le christ est mis à mort ; car la mort du Christ lui est prêchée et le corps du Christ lui est donné en nourriture. Le veau gras est tué parce que celui qui était perdu est retrouvé.

8. Et le frère aîné revenant des champs se met en colère et ne veut point entrer. Ce frère aîné n’est pas autre que le peuple juif, dont l’animosité se manifesta contre ceux qui crurent en Jésus-Christ avant lui. Les Juifs s’irritèrent en voyant les nations entrer dans le divin bercail d’une manière aussi simple et aussi facile, et recevoir le baptême du salut sans avoir porté un seul instant le fardeau si onéreux des observances légales, sans même

  1. Mat. 11, 30
  2. Psa. 54, 7
  3. Eph. 6, 16