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 Le monde sera dans la joie, et vous dans la tristesse ; mais votre tristesse se changera en joie[1] ».

2. C’est à cela surtout qu’il faut nous préparer, si nous ne voulons pas être surpris et vaincus. Vous venez en effet d’entendre l’Évangile parlant des tribulations en ces termes : « Malheur aux personnes qui seront en« ceintes et à celles qui nourriront[2] ». Ceux-là sont en état de grossesse, que l’espérance enfle chaque jour de plus en plus ; et ceux-là nourrissent ou allaitent, qui ont obtenu la possession de ce qu’ils désiraient. Car, une femme enceinte s’enfle de l’espoir d’un enfant qu’elle ne voit point encore ; et celle qui allaite embrasse enfin ce qu’elle espérait. On est en état de grossesse quand on convoite le bien d’autrui ; on nourrit quand on a déjà ravi ce que l’on convoitait. Et pour rendre cette vérité sensible aux intelligences les moins exercées, qu’on nous permette de recourir ici à un exemple. Quelqu’un convoite la ferme d’autrui, et dit : Cette ferme de mon voisin est excellente ; ô si elle m’appartenait ! ô si je la réunissais à la mienne pour n’en former plus qu’une seule ! L’avarice, elle aussi, aime l’unité ; elle aime une chose qui est bonne en soi, mais ce qu’elle ignore, c’est la manière dont cette chose doit être aimée. Peut-être cependant que le voisin, propriétaire de cette ferme excellente, est un homme riche, et notre avare soupçonne qu’il ne lui sera pas possible de s’en emparer impunément, parce que le propriétaire est un homme puissant et qui saura bien la défendre envers et contre tous ; il ne la convoite point alors, et on ne peut pas dire qu’il soit en état de grossesse ; il ne convoite point parce qu’il ne lui est pas possible d’espérer, et son âme n’est point enceinte. Si, au contraire, ce voisin se trouve être un homme pauvre, que la nécessité déterminera à vendre son héritage, ou que l’on pourra, par des procédés vexatoires, contraindre à s’en défaire malgré lui, alors ce même avare jette un regard de convoitise sur cette propriété, il espère qu’il pourra s’emparer soit de la maison de campagne, soit de la métairie de son voisin pauvre, et il recourt aux procédés vexatoires ; par exemple, il agit secrètement auprès des dépositaires du pouvoir, afin que les collecteurs des deniers publics le condamnent à quelque service bas et humiliant, et que, réduit à contracter d’abord des dettes énormes pour obtenir sa délivrance, il se voie ensuite dans la triste nécessité de vendre le modeste héritage qui servait à son entretien ou à celui de ses enfants. Pressé donc par ce besoin extrême, le malheureux vient trouver celui par la perversité de qui il se voit ainsi poursuivi et persécuté ; et ne soupçonnant pas qu’il s’adresse à l’auteur même de ses maux, il lui dit : Donnez-moi, seigneur, quelques pièces d’or ; je suis dans la nécessité, mon créancier me presse et me poursuit à outrance. L’autre lui répond : Je n’ai absolument rien entre les mains pour le moment. Il déclare n’avoir rien entre les mains, afin que la victime de sa fourberie atroce soit réduite à la nécessité de vendre. Celle-ci ayant répliqué que l’embarras extrême où il se trouve l’oblige à se défaire de son bien, il lui dit aussitôt : Quoique je n’aie pas une pièce de monnaie à moi appartenant, je m’efforcerai cependant d’en emprunter d’une manière quelconque pour vous venir en aide en qualité d’ami ; et, s’il est nécessaire, j’aliénerai même mon argenterie, pour vous empêcher d’être dépouillé injustement d’une partie de votre avoir. Quand le malheureux lui demandait un bienfait gratuit, il a déclaré n’avoir absolument rien ; mais depuis qu’il entend parler de vendre l’héritage, il s’offre généreusement à venir au secours de celui qu’il appelle son ami. Et quand il a obtenu ou extorqué le consentement de celui-ci, il lui dit qu’il faut qu’il vende même sa petite maison, dont peut-être il lui offrait précédemment une somme de cent sous, je suppose ; et en considération de l’embarras extrême où il voit son ami, il ne consent pas même à lui donner actuellement la moitié de ce prix.

3. C’est pour les hommes de cette sorte, ainsi que nous l’avons déjà dit, qu’il est écrit dans l’Évangile : « Malheur aux personnes qui seront enceintes et à celles qui allaiteront » ; le jour du jugement sera pour eux un jour de malheur, ils ne pourront échapper à cette sentence de condamnation : « Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel qui a été préparé au démon et à ses anges ; car j’ai eu faim, et vous ne m’avez point donné à manger ; j’ai eu soif, et vous ne m’avez point donné à boire[3] ». Que votre charité considère attentivement ces paroles : Si celui qui

  1. Jn. 16, 20
  2. Mat. 24, 19
  3. Mat. 25, 41-42