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pour mot dans l’Évangile. Ainsi le Seigneur nous a expliqué cette parabole après nous l’avoir proposée. Voyez maintenant ce que nous devons désirer d’être dans son champ. Voyez en quel état il faut que nous soyons trouvés au jour de la moisson. Car si le champ est le monde, il est aussi, et par là même, l’Église qui est répandue par tout le monde. Que celui qui est froment persévère jusqu’à la moisson. Que ceux qui sont ivraie se transforment en froment. Voilà précisément la différence qui existe entre les hommes, d’une part, et d’autre part les épis et l’ivraie proprement dits, qui croissent dans la terre. Ce qui est épi demeure épi ; ce qui est ivraie demeure ivraie. Dans le champ du Seigneur, au contraire, c’est-à-dire dans l’Église, ce qui était d’abord froment se change parfois en ivraie, et parfois aussi ce qui était ivraie devient froment, et nul ne sait ce qui adviendra demain soit de l’un, soit de l’autre. C’est pourquoi, lorsque les ouvriers indignés veulent arracher l’ivraie, le père de famille ne leur permet point de le faire. Ils voudraient faire disparaître l’ivraie, mais on ne leur permet point de la séparer du bon grain. Leur activité doit avoir pour limite la limite même de leurs aptitudes : aux anges maintenant d’accomplir l’œuvre de la séparation de l’ivraie. À la vérité, les ouvriers n’auraient point voulu réserver aux anges le soin d’accomplir cette séparation ; mais le père de famille, qui connaissait les uns et les autres, et qui savait que cette séparation devait être remise à un temps plus éloigné, ordonna à ses ouvriers de laisser subsister l’ivraie, et de ne point la séparer. « Non », leur répondit-il, quand ils lui firent cette demande : « Voulez-vous que nous allions et que nous arrachions l’ivraie ? Non, de peur qu’en voulant arracher l’ivraie, vous n’arrachiez peut-être le bon grain en même temps[1] ». Donc, Seigneur, l’ivraie même sera avec nous dans votre grenier ? « Quand le temps de la moisson sera venu, je dirai aux moissonneurs : Arrachez d’abord l’ivraie, et liez-la en gerbes pour la brûler[2] ». Laissez subsister dans le champ ce que vous n’aurez point avec vous dans mon grenier.

2. Écoutez, ô grains bien-aimés du Christ ; écoutez, ô très-chers épis, ô très-cher froment du Christ. Recueillez toute votre attention et portez-la sur vous-mêmes et sur votre conscience. Interrogez votre foi, interrogez votre charité. Discutez votre conscience. Et si vous reconnaissez en vous le vrai froment, sou, venez-vous de cette parole : « Celui qui aura persévéré jusqu’à la fin, c’est celui-là qui sera sauvé[3] ». Quiconque, au contraire, après cet examen de sa conscience, reconnaît être de l’ivraie, qu’il ne craigne point d’être transformé : l’ordre de le couper n’a point encore été donné, le jour de la moisson n’est point encore venu. Cessez aujourd’hui d’être ce que vous étiez hier, ou du moins ne soyez plus demain ce que vous êtes aujourd’hui. À quoi vous sert-il de dire parfois que vous changerez ? Dieu vous a promis d’être indulgent au jour de votre conversion, mais il ne vous a point promis le jour de demain. Tel vous sortirez de votre corps, tel vous serez moissonné. Un homme vient de mourir, ne me demandez pas son nom, je ne le connais point ; cet homme était de l’ivraie au moment de sa mort, pensez-vous qu’il lui soit encore possible de devenir du froment ? C’est dans ce champ seulement que l’ivraie se transforme en froment et le froment en ivraie. Cette transformation est possible ici-bas ; ailleurs, c’est-à-dire après la vie présente, c’est le temps de recueillir le fruit des œuvres accomplies, non point d’accomplir celles que l’on a omises. Quiconque aura voulu être ici-bas de l’ivraie et se séparer soi-même du champ du Seigneur Jésus-Christ, ne sera point alors du froment. Peu importe, du reste, que l’ivraie demeure mêlée avec le bon grain, celui-ci n’a rien à craindre de ce mélange. Laissez croître l’un et l’autre jusqu’à la moisson, dit le père de famille ; oui, qu’ils croissent ensemble. Les moissonneurs ne se tromperont point, ils sauront ce qu’ils devront lier en gerbes destinées à être jetées au feu. Le froment ne pourra point être ni lié en gerbes, ni jeté au feu. Les gerbes rendront toute erreur et toute confusion impossibles.

3. Il y a la gerbe d’Arius, la gerbe d’Eunomius, la gerbe de Photin, la gerbe de Donat, la gerbe de Manès, la gerbe de Priscillien. Tous les disciples de chacun de ces hommes sont jetés au feu avec eux. Le froment pur, au contraire, n’a absolument rien à craindre, il est assuré de se réjouir éternellement dans le grenier. Mais en quel endroit cet ennemi n’a-t-il point semé l’ivraie ? Quelle espèce,

  1. Mat. 13, 29
  2. Id. 30
  3. Mat. 10, 22