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félicité éternelle dans cette vallée des misères et des larmes, dans cette région ténébreuse et couverte des ombres de la mort comme dans une vraie terre d’Égypte. Tant que Joseph régna en Égypte, Pharaon ne persécuta point le peuple de Dieu. Joseph représente ici Jésus-Christ que ses frères, c’est-à-dire les Juifs, ont vendu uniquement par un sentiment de haine, et qui, après avoir été emmené en Égypte, n’y a point été reconnu par ses frères ; car Jésus-Christ a était dans le monde, et le « monde avait été créé par lui, et le monde ne le reconnut point[1] ». Aussi longtemps que Joseph conserva le pouvoir sur l’Égypte, le peuple n’éprouva aucun effet de la colère de Pharaon. Et, en effet, tant que le véritable Joseph règne sur nous, tant que le Christ demeure maître absolu de nos âmes, Pharaon, c’est-à-dire le démon et les puissances ennemies, ne sauraient nous percer de leurs traits ni nous causer aucun dommage. Mais après la mort de Joseph un nouveau prince s’asseoit sur le trône d’Égypte, et ce prince ne connaît point Joseph, et il contraint les enfants d’Israël à se livrer sans relâche au rude labeur de la préparation de l’argile et de la fabrication des briques. Ce nouveau roi, mes biens chers frères, n’est autre que le démon qui règne en maître absolu sur tous les hommes livrés à l’orgueil et qui ne connaît point Joseph, c’est-à-dire Jésus-Christ. « Car il a dit en son cœur : Il n’y a point de Dieu[2] » ; et après la mort de Joseph, il opprime le peuple. Si le Christ vient à mourir en nous, si son souvenir vient à disparaître de notre esprit, alors le nouveau roi, je veux dire le démon, commence à exercer sur nous son pouvoir tyrannique, il nous condamne aux pénibles travaux de la préparation de l’argile et de la confection des briques ; il nous voue au hideux et ignoble esclavage des voluptés charnelles ; il nous contraint de livrer notre cœur « au monde et aux choses qui sont dans le monde[3] » ; il enchaîne notre esprit et le tient, aussi bien que notre corps, constamment courbé vers les choses de la terre ; de telle sorte que la méditation des choses célestes devient pour nous une œuvre tout à fait impossible.

3. Mais Dieu, qui se plaît avant tout à exercer sa miséricorde et qui cherche à pardonner à ses fidèles serviteurs bien plutôt qu’à les punir, compatissant à leur misère et à leur affliction, choisit et délégua Moïse et Aaron, c’est-à-dire la loi et le sacerdoce, pour délivrer son peuple et pour châtier Pharaon. C’est pourquoi ; s’étant présentés devant ce prince, ils lui dirent : « Voici ce que dit le Seigneur Dieu : Laissez aller mon peuple, afin qu’il m’offre des sacrifices dans le désert. Après trois jours de marche nous serons dans la solitude, et là nous offrirons des sacrifices à notre Dieu[4] ». Remarquons ici, mes frères, que les enfants d’Israël, demeurant sur la terre d’Égypte, ne pouvaient offrir à Dieu aucun sacrifice. Le mot Égypte, en effet, signifie ténèbres et désigne ici le monde ; car ce monde fait de tous ses amateurs autant d’enfants de ténèbres, en les enveloppant dans les ténèbres de l’ignorance et dans la nuit du péché. Condamnés à la meule, aveuglés par leurs péchés qui recouvrent leurs yeux comme un voile impénétrable, on les voit s’agiter dans un cercle sans fin, lutter contre des flots qui les reportent constamment au rivage, travailler toujours sans trouver jamais le repos, courir avec effort sans parvenir au but ; égarés dans la nuit de la plus épaisse ignorance, ils dépensent une activité surhumaine sans réussir à rencontrer même la porte de la vérité. Dans cette région donc des ténèbres et de la mort, les enfants d’Israël ne sauraient offrir aucun sacrifice ; car le coassement des grenouilles retentirait dans un tel sanctuaire, des légions de mouches, s’élevant de ce sol fangeux, se précipiteraient dans les yeux des assistants : l’odeur même de l’encens serait étouffée sous les émanations pestilentielles qui remplissent ces lieux consacrés aux vices les plus divers et où chaque démon a un autel.

4. Il faut donc sortir d’Égypte de peur que, par leur coassement, les grenouilles ne troublent le repos des Israélites, de peur que « les mouches en mourant ne cessent de répandre une odeur suave » et ne souillent le sacrifice. Encouragés donc par l’exemple du bienheureux Abraham, « sortons de la terre qui nous a vus naître et qu’habitent encore nos proches ; sortons de la maison de notre père[5] », et venons dans la terre que le Seigneur nous aura montrée. Avec le bienheureux Joseph abandonnant son manteau entre

  1. Psa. 13, 1
  2. Psa. 13, 1
  3. Jn. 2, 15
  4. Exo. 5, 1-3
  5. Gen. 12, 1