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paradis, vous n’en mangerez point et vous n’y toucherez point, de peur que vous ne mouriez[1] ». Voilà une loi ; elle ne devait pas être transgressée ; car Dieu, en créant nos premiers parents, les avait rendus tellement heureux qu’ils devaient à tout jamais ignorer l’existence même du mal ; leur simplicité était tellement parfaite que leur nudité innocente ne devait jamais être polir eux un sujet de honte ou de confusion. « Adam et son épouse étaient nus, et ils ne rougissaient point de leur nudité[2]. Mais le démon était la plus rusée de toutes les bêtes que le Seigneur Dieu avait créées. Et le serpent dit à la femme : Pourquoi Dieu vous a-t-il défendu de manger du fruit de tous les arbres qui sont dans le paradis ? Et la femme dit au serpent : Nous mangeons du fruit de tous les arbres qui sont dans le paradis ; mais par rapport au fruit de l’arbre qui est au milieu du paradis, Dieu nous a dit : Vous n’en mangerez pas et vous n’y toucherez pas, de peur que vous ne mouriez. Et le serpent répondit à la femme : Non, certes, vous ne mourrez point ; Dieu sait au contraire que, le jour où vous en mangerez, vos yeux seront ouverts et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal[3] ». Voyez maintenant avec quel art le démon s’attache à ruiner aux yeux de ces hommes simples l’autorité de la parole de Dieu : grâce à cette interprétation perfide, il leur persuade que Dieu a pu envier aux hommes leur immortalité. Il s’adresse d’abord à la femme, c’est-à-dire à la faiblesse même, dans l’espérance de réussir plus facilement à porter la persuasion dans son esprit. En même temps, il se transforme en serpent. Mais telle était, dans leur innocence première, la sécurité des auteurs du genre humain que, bien loin de trembler et de frémir à la vue d’un horrible serpent, ils n’éprouvent pas même un sentiment de crainte. « Et la femme prit de ce fruit, elle en mangea et en donna à son mari. Et ils en mangèrent, et les yeux de l’un et de l’autre furent ouverts, et ils connurent qu’ils étaient nus[4] ». O nudité trop longtemps innocente à ton gré, tes désirs sont enfin satisfaits, tu as appris à rougir !

3. « Et le Seigneur fit à Adam et à son épouse des tuniques de peaux, et il les en revêtit ; puis il dit : Voici qu’Adam est devenu comme l’un d’entre nous, connaissant le bien et le mal[5] ». Le Seigneur ne leur dissimule point qu’ils sont perdus ; mais il les raille de s’être laissé persuader, par le démon, qu’ils pouvaient devenir dieux. Oui, ils sont devenus dieux, mais des dieux semblables au démon, puisqu’ils sont maudits de Dieu et revêtus à la fois de peaux et du péché qu’ils ont commis. Le Seigneur donc dit, mais en les raillant : « Voici qu’Adam est devenu comme l’un d’entre nous, connaissant le bien et le mal ». O nature ! ô maîtresse achevée dans l’art d’assouvir la convoitise et de commettre tous les crimes, où est maintenant cet antique serpent, ton digne et trop fidèle ministre ? où sont ses discours enchanteurs ? où est cette immortalité promise par toi aux hommes comme une chose dont la jalousie de Dieu seule les avait privés jusqu’alors ? Ah ! s’il n’est pas en ton pouvoir d’accomplir ta promesse et de guérir les hommes des maux que tu leur as causés, rends-leur du moins cette immortalité première que tu leur as fait perdre. Voyez maintenant où en sont réduits ces hommes qui ont pris la nature pour guide. Voyez-les chassés du paradis, pareils à de pauvres naufragés ayant à peine quelques feuilles de plantes marines et quelques peaux pour se couvrir. O nature ! donne, si tu le peux, à ces malheureux, des vêtements capables de remplacer ceux que Dieu leur avait donnés primitivement, et qui n’étaient pas autre chose que leur sainte nudité. Les brebis portent dès leur naissance une toison élégante qui leur tient lieu de vêtement et les protège contre l’intempérie des saisons ; les chèvres portent une chevelure qui, tout inculte qu’elle est, leur sert à la fois de couverture et d’ornement ; les chevaux, les lions, les taureaux, les autres animaux domestiques ou sauvages sont revêtus d’une robe de poils tendres et flexibles qui abrite leur peau, et dont les couleurs savamment nuancées brillent parfois d’un éclat splendide. Quoi de plus varié et de plus magnifique que le plumage dont les oiseaux sont couverts ? le serpent lui-même, qui a été condamné avec vous, dépouille chaque année sa tunique d’écailles ; et en même temps qu’il dépose l’ancienne, il en revêt une nouvelle. Vous seuls, ô hommes, vous êtes formés et exposés par la nature

  1. Gen. 2, 16-17
  2. Id. 25
  3. Id. 3, 1-5
  4. Id. 6-7
  5. Gen. 3, 21-22