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un chagrin de courte durée, préparent des joies éternelles ; une tribulation nous garantit des autres tribulations, et l’inquiétude enfante pour nous la sécurité. En effet, le Dieu de miséricorde n’a jamais voulu la mort du pécheur, autant qu’il a voulu le voir se convertir et vivre : par une raison tout opposée, et parce qu’il est un juste juge, il ne veut point que le péché demeure impuni. Le pénitent s’inflige donc lui-même le châtiment qu’il mérite, et ainsi va-t-il au-devant de la main de Dieu, qui venait le frapper et ne viendra plus que pour le secourir. Il humilie donc son esprit dans la tristesse et les gémissements, dans la douleur et les larmes, il tire lui-même vengeance de ses iniquités, et, par là, il ne laisse rien à la justice divine qu’elle puisse exiger de lui, il offre à la bonté paternelle du Très-Haut une belle occasion de pardonner. Dès lors donc, il exerce contre sa propre personne tous les droits de la justice, puisqu’il se déteste le premier comme pécheur. L’accord s’établit entre lui et Dieu, ne hait-il pas, en effet, ce que hait en lui le Seigneur ? Il se punit, mais que cette punition est, peu de chose ! Il s’irrite contre sa faiblesse, il se soumet aux rigueurs de la pénitence ; mais qu’est-ce que cela ? Que c’est peu de chose en comparaison des flammes éternelles ! Mais quand il en est encore temps, avant que luise le jour de la colère divine et de la manifestation des cœurs, qui doit se faire au jugement de la justice éternelle, si le pécheur, attaché en quelque sorte au pilori de sa conscience, s’irrite contre lui-même et se condamne aux déchirements de la pénitence, la colère de Dieu n’est plus allumée contre lui ; bien au contraire, il se réjouit plus de la conversion de ce seul pécheur, que de la persévérance dans le bien de quatre-vingt-dix-neuf justes qui ne sont point égarés[1]. Il met d’autant plus d’empressement à pardonner les crimes des pécheurs repentants, qu’il a montré plus de patience à différer l’heure de les punir. Car « s’il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et tomber la pluie sur les justes et sur les pécheurs[2] », c’est afin que, tout en continuant à manifester sa miséricorde aux bons, il force les méchants à rougir de leur persistance dans le mal.
2. Aussi, vénérable pape, vois agenouillés, non-seulement en présence du Seigneur, mais encore à tes pieds, ceux que, dans sa patience, Dieu invitait à se repentir. Aujourd’hui, ils ne se détournent plus de lui et ne s’amassent plus des trésors de colère ; car ils sont convertis et crient miséricorde. Ils demandent leur pardon, ils le cherchent, ils frappent à la porte. Tu es rempli des dons de la grâce, accorde-les donc à leur repentante ; tu es éclatant de lumière, guide donc leurs pas vers le but où ils veulent parvenir ; tu as les clefs en tes mains, ouvre-leur donc la porte puisqu’ils y frappent. Puissent tes entrailles de pasteur se sentir émues à la vue de ces brebis que l’Agneau a rachetées de sols sang, et qu’il a, par le secours mystérieux de sa grâce, arrachées à la dent des loups. Elles te montrent leurs blessures, elles mettent à nu devant toi leurs consciences déchirées par des bêtes féroces : jette sur elles tes regards, reçois-les dans tes bras. Elles ne diffèrent nullement de te manifester leurs plaies, ne diffère pas non plus d’y appliquer un prompt remède. Ces pécheurs se tenaient dans l’Église, comme s’ils eussent été au paradis l’antique ennemi en est devenu jaloux :. ils ont manqué une seconde fois de vigilance, et le serpent, se traînant sur sa poitrine et son ventre, est tombé sur eux, il les a de nouveau trompés, il en a fait de nouveau ses esclaves. Au souvenir de la condamnation de notre premier père, ils ont été saisis de crainte ; mais au lieu de fuir la présence du Très-Haut, au lieu de se cacher à l’ombre d’une excuse, loin de déguiser la honte de leurs désordres sous le voile inutile de paroles de justification, et de les envelopper comme d’un vêtement de feuilles[3], ils ouvrent devant toi leurs cœurs et répandent leurs âmes en ta présence. La crainte ne les éloigne pas ; au contraire, ils se rapprochent, et, par ton intermédiaire, ils veulent revenir à Dieu. Essuie donc leurs larmes, guéris leurs pieds de leurs faux pas. Ils arrivent d’un pays lointain ; va au-devant d’eux. En toi se trouve celui qui a ainsi agi à l’égard de son plus jeune fils, de ce fils pour qui ses désordres furent la source des souffrances de l’exil et des privations de la misère[4]. Que ceux-ci se nourrissent, comme lui, du veau gras. Que d’eux on dise aussi : Ils étaient morts, et ils sont ressuscités ; ils étaient perdus, et ils sont retrouvés[5].

  1. Mat. 18, 18
  2. Id. 5, 45
  3. Gen. 3, 7
  4. Luc. 15, 11 et suiv
  5. Luc. 15, 21